Bruno Retailleau : 7 mois à Beauvau, entre promesses sécuritaires et diplomatie parallèle !
Nombril de l’actualité migratoire et sécuritaire, Bruno Retailleau s’est imposé au ministère de l’Intérieur comme l’un des visages les plus visibles de l’exécutif. Mais à l’heure du bilan, ses sept premiers mois à Beauvau révèlent un ministre en quête de résultats concrets, tiraillé entre volonté politique, lignes partisanes, et ambitions personnelles.
Publié : 11 mai 2025 à 11h43 par La rédaction
/medias/AeWr17FGuu/image/Bruno_Retailleau1727173640822.jpg)
Nommé le 21 septembre 2024, Bruno Retailleau n’a pas attendu un an pour dresser un premier bilan. « Ce ministère est celui de l’urgence, mais il doit aussi être celui de l’endurance », a-t-il déclaré le 10 avril, lors d’une conférence de presse conjointe avec François-Noël Buffet, son ministre délégué.
Entouré des patrons de la Gendarmerie, de la Police nationale et de la Sécurité civile, il a revendiqué une rupture de méthode : moins de réactions dans l’urgence, plus de stratégie dans la durée.
Sa feuille de route repose sur trois piliers : reprendre le contrôle de l’immigration, réarmer l’État contre la criminalité organisée, et renforcer la sécurité du quotidien. Derrière cette mécanique, Retailleau entend répondre à ceux qui l’accusent d’immobilisme. « Ce que j’ai voulu faire, ce ne sont pas des coups, ni du chiffre […]. J’inscris mon action, je l’assume, dans le temps », insiste-t-il.
Immigration : un marqueur politique fort mais des blocages persistants
Sur le volet migratoire, Bruno Retailleau assume une ligne dure. Il met en avant une baisse des régularisations de 20 % depuis la diffusion d’une circulaire aux préfets le 23 janvier. Il revendique aussi une hausse des éloignements : +9 % d’éloignements forcés, +15 % d’éloignements aidés, 86 vols groupés réalisés, 269 filières de passeurs démantelées en 2024.
Mais en matière législative, le bilan reste mince. Le ministre a bien obtenu l’adoption de la loi durcissant le droit du sol à Mayotte, mais la réforme de l’aide médicale d’État piétine. Quant au texte allongeant la durée de rétention administrative, il reste bloqué au Parlement.
« C'était illusoire de vouloir un grand texte, un monument législatif », concède-t-il, préférant souligner que son action s'inscrit « à droit constant ». Son ambition : une réforme constitutionnelle permettant un référendum sur l'immigration. Mais à l’heure actuelle, ce cap reste hors de portée.
Naturalisation : une nouvelle ligne dure
Dernier chantier en date : la nationalité française. Le 5 mai, Bruno Retailleau a présenté une nouvelle circulaire qui restreint les conditions d’accès à la naturalisation. « Devenir Français, ça doit se mériter », a-t-il lancé, ajoutant : « Nous faisons reposer la nationalité française non pas seulement sur l’ascendance, mais d’abord sur un sentiment d’appartenance. »
Trois critères sont resserrés : le respect de la loi, la maîtrise de la langue et des connaissances historiques, et l’autonomie financière. Un « examen civique » sera instauré en 2026. « Le droit de séjour est une faveur qu’on accorde à un étranger régulier », a-t-il affirmé.
Criminalité : entre lutte contre le narcotrafic et outils répressifs
Autre fierté du ministre : la proposition de loi « Sortir la France du piège du narcotrafic », portée dès son passage au Sénat. Le texte, présenté en Commission mixte paritaire, a fait l’objet d’un accord entre les deux chambres. Son adoption définitive est attendue pour la fin avril.
Le dispositif « Villes de sécurité renforcée », lancé en février, illustre aussi sa stratégie : renforcer la coordination police-gendarmerie dans les zones urbaines sensibles. Dans le même esprit, l’État-major national de lutte contre la criminalité organisée sera installé à Nanterre d’ici fin avril.
Il veut envoyer un message clair : « C’est un signal qu’on envoie à ces criminels : on ira les débusquer où qu’ils soient ! »
Sécurité du quotidien : des résultats contrastés
Le ministre revendique des avancées sur le terrain : –17 % de vols violents sans arme entre octobre et mars, +29 % d’interpellations liées aux rodéos urbains, –8,3 % de morts sur la route. Ces chiffres doivent, selon lui, attester d’un rééquilibrage de l’action sécuritaire vers les préoccupations quotidiennes des Français.
Pour accompagner ce mouvement, chaque département a remis en janvier un plan de sécurité local, conçu avec les préfets, les forces de l’ordre et les élus. Le ministère mise sur un « continuum de sécurité » associant maires, polices municipales, bailleurs et agents privés.
Lancement phare, le « Beauvau des polices municipales » vise à renforcer les prérogatives des agents municipaux. Une proposition de loi est attendue d’ici l’été. Dans ce cadre, 57 nouvelles brigades de gendarmerie verront le jour en 2025.
Une diplomatie parallèle qui fait grincer les dents
Si Bruno Retailleau parle beaucoup d’immigration, il parle aussi, et peut-être trop, de politique étrangère. Depuis son entrée à Beauvau, il s’est régulièrement exprimé sur les relations franco-algériennes, au risque de brouiller la voix de l’exécutif. « Avec l’Algérie, nous devons poser un rapport de force », déclarait-il en avril sur CNEWS. Une ligne dure qui contraste avec la volonté d’apaisement de Jean-Noël Barrot, ministre des Affaires étrangères.
Alors que Paris tente de rétablir un dialogue avec Alger, Bruno Retailleau maintient : « Je veux sortir de cette crise, mais je ne veux pas en sortir avec des faux-semblants. »
Cette diplomatie parallèle est loin de faire l’unanimité au sein du gouvernement. Certains y voient une instrumentalisation politique, à l’approche du congrès des Républicains.
Bruno Retailleau et la dénonciation de l'accord franco-algérien de 1968
Depuis sa nomination au ministère de l'Intérieur, Bruno Retailleau a intensifié ses critiques à l'encontre de l'accord franco-algérien de 1968, qu'il considère comme un "droit exorbitant" et "plus justifié". Cet accord, signé le 27 décembre 1968, établit un cadre spécifique pour la circulation, l'emploi et le séjour des ressortissants algériens en France, leur accordant des avantages dérogatoires par rapport au droit commun.
Le locataire Place Beauvau a exprimé sa volonté de dénoncer cet accord, estimant qu'il confère des privilèges injustifiés aux Algériens et qu'il est source de déséquilibres dans les relations migratoires entre la France et l'Algérie. Il a notamment déclaré : « La dénonciation de l'accord franco-algérien ne pose pas de problème majeur et il est faux de prétendre, comme le fait le gouvernement algérien, qu'en cas de dénonciation nous retomberions sur les dispositions de l'accord d'Évian. Non, nous retomberions sur les dispositions de notre droit commun ».
Cette position a suscité des tensions diplomatiques entre Paris et Alger, l'Algérie refusant de reprendre certains de ses ressortissants expulsés de France, ce qui a conduit Retailleau à suspendre un accord de 2007 facilitant la circulation des détenteurs de passeports diplomatiques entre les deux pays.
La dénonciation de l'accord de 1968 est également perçue par certains observateurs comme une tentative de la droite française de remettre en cause les acquis migratoires des Algériens et de renforcer le contrôle sur l'immigration en provenance du Maghreb .
Affaire Amir DZ : tensions diplomatiques et implications ministérielles
L'enlèvement présumé d'Amir Boukhors, alias "Amir DZ", survenu en avril 2024 en région parisienne, a suscité une vive réaction du ministre de l'Intérieur, Bruno Retailleau. Ce dernier a déclaré sur LCI : « Le soupçon des faits est confirmé. Le lien avec le pays n’est pas avéré, c’est l’enquête qui le dira. Elle est actuellement entre les mains du Parquet national antiterroriste (PNAT) ».
Cette affaire, impliquant un opposant algérien bénéficiant de l'asile politique en France, a entraîné des tensions diplomatiques entre Paris et Alger. En réponse à l'arrestation d'un agent consulaire algérien en France, l'Algérie a expulsé douze employés de l'ambassade de France, considérant cette mesure comme une riposte directe aux propos de Bruno Retailleau. Paris a également répondu en expulsant douze autres employés de l’ambassade d’Algérie en France.
Le ministre de l'Intérieur a souligné la gravité de la situation : « Nous sommes un État souverain. Ce type d’acte constitue une atteinte grave à notre autorité sur notre propre sol ». Il a également évoqué la possibilité d'un « acte d'ingérence étrangère », tout en laissant l'autorité judiciaire démêler les fils de cette affaire.
Bruno Retailleau et la stigmatisation des musulmans : une politique sous tension
Depuis sa nomination au ministère de l'Intérieur, Bruno Retailleau a multiplié les déclarations et initiatives controversées visant la communauté musulmane, suscitant de vives critiques et exacerbant les tensions sociales.
Des propos polémiques sur le voile
Le 26 mars 2025, lors d'un rassemblement au Dôme de Paris, Retailleau a lancé un retentissant « À bas le voile ! », une phrase qui a rapidement enflammé le débat public. Interrogé sur ces propos, il a persisté, déclarant que le voile est un « étendard pour l’islamisme » et un « marqueur de l’infériorisation de la femme par rapport à l’homme ».
Ces positions ont été renforcées par sa volonté d'interdire le port du voile dans les universités et lors des sorties scolaires, affirmant que « les femmes qui accompagnent les élèves ne doivent pas être voilées ». Il justifie ces mesures en invoquant la lutte contre l'islamisme, mais elles sont perçues par beaucoup comme une stigmatisation directe des musulmans pratiquants.
Une réaction tardive au meurtre d'Aboubakar Cissé
Le 25 avril 2025, Aboubakar Cissé, un jeune Malien de 22 ans, a été assassiné dans une mosquée du Gard, poignardé à 57 reprises par un individu proférant des propos islamophobes. Ce crime a profondément choqué la communauté musulmane et relancé le débat sur l'islamophobie en France.
Pourtant, Bruno Retailleau n'a pas immédiatement réagi. Ce n'est que plusieurs jours plus tard qu'il a exprimé ses condoléances et proposé de rencontrer la famille de la victime. Cette lenteur a été vivement critiquée, certains y voyant un manque d'empathie et de considération pour la communauté musulmane.
Lors de son déplacement à la Grande Mosquée de Paris le 5 mai, Retailleau a été accueilli par le recteur Chems-Eddine Hafiz, qui a souligné l'importance de protéger tous les citoyens, « sans distinction ». Cependant, l'absence de la famille Cissé à cette rencontre, suivant les conseils de leurs avocats, a mis en évidence le fossé persistant entre le ministre et la communauté musulmane.
Des critiques unanimes
Les déclarations et actions de Bruno Retailleau ont été largement dénoncées par des responsables politiques, des associations et des citoyens. Lors d'une manifestation contre l'islamophobie à Paris, des participants ont pointé du doigt le ministre, affirmant que ses propos alimentent la haine et la division.
Jean-Luc Mélenchon, leader de La France Insoumise, a accusé Bruno Retailleau de cultiver un « climat islamophobe » qui aurait contribué au meurtre d'Aboubakar Cissé. De son côté, le Premier ministre François Bayrou a pris ses distances, défendant l'usage du terme « islamophobie » pour qualifier ce type d'actes haineux .
Une stratégie politique avant tout ?
Sous le vernis technique, ce bilan semestriel tient de l’opération politique. En lice pour la présidence de LR, Retailleau soigne sa stature. Il envoie des signaux à sa base, revendique une politique de « rupture » et joue le bras ferme du gouvernement.
Mais à force de multiplier les fronts, certains lui reprochent de délaisser l’essentiel. Pas un mot, par exemple, sur les moyens alloués aux forces de l’ordre ou les réponses aux violences intrafamiliales. « Il parle trop de l’extérieur, pas assez de son propre ministère », souffle un haut fonctionnaire.
Bruno Retailleau avance en solitaire, entre convictions rigides et ambitions affirmées. En sept mois, il s’est imposé dans le débat public. Mais son bilan reste fragile, et ses annonces encore incomplètes. Reste à savoir si la posture suffira à tenir sur la durée… et à convaincre son propre camp.