Chems-Eddine Hafiz : "Être Algérien en France aujourd’hui est devenu un fardeau" !
Chems-Eddine Hafiz, recteur de la Grande Mosquée de Paris, alerte sur la dégradation des relations franco-algériennes et appelle à l’apaisement.
Publié : 6 mai 2025 à 10h59 par La rédaction
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Dans un contexte de crispation croissante entre Alger et Paris, le recteur de la Grande Mosquée de Paris, Chems-Eddine Hafiz, tire la sonnette d’alarme.
Dans un entretien accordé à Echourouk, il évoque les racines du malentendu, dénonce les attaques de l’extrême droite française et appelle à une désescalade urgente. Il livre également sa lecture de l’affaire Boualem Sansal, affirmant qu’il s’agit d’un dossier strictement judiciaire.
Une relation figée dans le passé
Pour Chems-Eddine Hafiz, les tensions actuelles entre l’Algérie et la France s’expliquent en grande partie par un lourd héritage colonial. Il évoque une mémoire encore vive, manipulée par certains discours politiques : « Ce que nous vivons aujourd’hui est la conséquence directe d’un récit biaisé, où l’on tente de présenter la colonisation comme un projet civilisateur ». Il cite les travaux de Benjamin Stora et de Pierre Vidal-Naquet pour démonter cette version de l’histoire.
Selon lui, le discours nostalgique autour de « l’Algérie française » est alimenté par des mécanismes bien rodés et une droite radicale qui fait de l’Algérie un bouc émissaire facile. Cette vision est dangereuse, insiste-t-il, car elle alimente une hostilité envers les Franco-Algériens. « Être Algérien en France aujourd’hui est devenu un fardeau », regrette-t-il.
Une affaire judiciaire, pas politique
L’arrestation de Boualem Sansal a exacerbé les tensions. Pour Hafiz, les réactions qui ont suivi en France sont disproportionnées : « On a tout de suite crié à l’enlèvement et à la prise d’otage, alors que tout s’est déroulé dans le cadre légal ». Il rappelle que Boualem Sansal est entré en Algérie avec un passeport algérien, qu’il y possède des biens, et qu’il a exercé de hautes fonctions. La mise en avant soudaine de sa nationalité française récente est, selon lui, un prétexte.
Il rejette fermement toute tentative de politisation de cette affaire : « Il faut laisser la justice faire son travail. Ce n’est pas à la presse ou aux politiques de se substituer aux tribunaux ». Il appelle les autorités algériennes à désigner un avocat pour défendre le diplomate actuellement incarcéré, soulignant que ce dernier a une famille et des enfants.
L’ambassadeur toujours absent
Autre signe du malaise : l’absence prolongée de l’ambassadeur de France en Algérie, rappelé pour consultation. « Il n’est pas encore revenu à son poste », confirme Hafiz. La situation est inédite et inquiétante, estime-t-il. Selon lui, il est encore temps d’éviter une rupture diplomatique : « J’ai confiance dans la sagesse des deux présidents. Une cassure serait une catastrophe, surtout pour notre communauté en France ».
Une communauté prise pour cible
Le recteur déplore les attaques systématiques contre les Franco-Algériens dans les médias français : « On nous traite comme des citoyens à part, non intégrés, voire suspects ». Il rappelle que de nombreux Algériens participent activement à la vie française : médecins, ingénieurs, avocats, responsables économiques… « La présidente de l’Institut Pasteur est algérienne et diplômée de l’université de Bab Ezzouar », insiste-t-il. Il dénonce le discours stigmatisant qui nie cette réalité.
Appel à l’apaisement
Dans ce climat tendu, il appelle à sortir de la surenchère médiatique : « Gérer des crises par voie de presse ne peut mener qu’à l’escalade. Il est temps de revenir à la raison et d’agir dans la discrétion ». Il évoque avec espoir les récentes déclarations de confiance du ministre Jean-Noël Barrot, après sa visite en Algérie : « Cela montre qu’un dialogue est encore possible ».
Ciblé par l’extrême droite... et au-delà
Chems-Eddine Hafiz révèle avoir été personnellement visé par des attaques dans la presse française. Si certaines proviennent de figures de l’extrême droite, d’autres sont le fait de ressortissants algériens : « Trois personnes citées dans L’Opinion sont d’origine algérienne. Elles m’ont accusé à tort de vols et autres mensonges. Cela, je ne peux pas le pardonner ».
Il affirme qu’en tant que recteur d’une grande institution islamique, ses positions suscitent méfiance et hostilité. « Être proche du président algérien et musulman pratiquant, ça ne passe pas pour certains, même dans nos propres rangs ».
Le refus du ministre de l’Intérieur
Le recteur revient également sur un épisode symbolique : le refus du ministre Bruno Retailleau de répondre à son invitation pour un iftar durant le Ramadan. « Il est pourtant le ministre des cultes », souligne-t-il, rappelant que plusieurs de ses prédécesseurs, dont Nicolas Sarkozy, avaient répondu présents. Il déplore une rupture dans un usage républicain bien établi : « Il a reçu les représentants d’autres religions mais pas moi. Ce n’est pas acceptable ».
Un pont à reconstruire
En conclusion, Chems-Eddine Hafiz en appelle à un retour à la normalité : « Nous avons tant à construire ensemble. La Grande Mosquée de Paris restera toujours un pont entre les deux rives ». Un message de paix et de responsabilité, lancé à l’heure où l’équilibre des relations entre l’Algérie et la France semble plus fragile que jamais.