Saïd Mekbel, la plume qui n’a jamais cédé !
Trente et un ans après son assassinat, l’Algérie se souvient d’un homme qui fit du courage un métier et de la vérité un héritage.
Publié : 4 décembre 2025 à 21h46 par La Rédaction
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Une voix qui défia la peur. Il y a des hommes dont la disparition ne ferme pas une page. Elle l’illumine. Saïd Mekbel appartient à cette lignée rare. Trente et un ans après son assassinat, le 3 décembre 1994, son nom continue de vibrer comme un rappel : la liberté de la presse a un prix, et certains l’ont payé de leur vie.
Né en 1940 à Béjaïa, d’un père marin et d’une famille modeste, il gravit les échelons par le travail et la volonté. L’enfant de Kabylie, passé par les écoles militaires de Miliana, Koléa puis Aix-en-Provence, aurait pu suivre la voie toute tracée qui le menait à Saint-Cyr. Mais l’indépendance de l’Algérie change sa trajectoire. Le 26 janvier 1963, il rentre au pays. Pour y servir. Pour y écrire.
La naissance d’un satiriste redouté
Au ministère de l’Énergie, il participe aux négociations franco-algériennes sur le pétrole. Mais la rigueur des chiffres ne suffit pas à contenir sa passion. Il rejoint Alger républicain où il devient critique de cinéma. Très vite, sa plume trouve sa voie : la satire politique.
Sous l’impulsion d’Henri Alleg, il participe à L’Ogre, puis crée sa propre chronique, Mesmar Djeha. Un ton acéré, une ironie tranchante, une signature qui deviendra une légende.
La fermeture d’Alger républicain en 1965 le pousse vers un autre destin. Ingénieur, professeur, conférencier, docteur en mécanique des fluides… Saïd Mekbel aurait pu mener une carrière scientifique brillante. Il le fera, mais sans jamais abandonner l’écriture. Sa plume n’était pas un métier. C’était un instinct.
Le retour à la presse : l’engagement comme devoir
En 1989, il reprend sa chronique satirique El Ghoul. Puis en 1991, avec une équipe de confrères, il fonde Le Matin. Il y ressuscite Mesmar j’ha, son personnage fétiche, qui épingle le pouvoir, les groupes armés, les hypocrisies et les lâchetés d’une décennie marquée par la terreur.
Il multiplie les collaborations : El Manchar, Baroud, Ruptures. Partout, il apporte la même chose : une lucidité tranchante, un humour sombre, une liberté totale.
En 1994, les menaces deviennent directes. Sa femme fuit l’Algérie. Lui refuse. « Parce que n’est-ce pas, les roses poussent bien sur les tas de fumier », écrira-t-il dans son dernier texte.
Le 8 mars, il survit à un attentat. Le 3 décembre, dans un restaurant proche du journal, deux balles dans la tête mettent fin à sa vie. Il meurt le lendemain à l’hôpital militaire de Aïn Naâdja. Il avait 54 ans.
« Cet homme qui espère contre tout… » : son dernier cri
Le jour même de sa mort, son dernier billet paraît. Un texte qui bouleversera la presse mondiale. Une sorte d’autoportrait en mille visages, où chaque ligne révèle la condition du journaliste traqué dans l’Algérie des années noires.
Voici les mots exacts, tels qu’il les a écrits : « Ce voleur qui, dans la nuit, rase les murs pour rentrer chez lui, c’est lui. Ce père qui recommande à ses enfants de ne pas dire dehors le méchant métier qu’il fait, c’est lui. (…) Cet homme qui fait le vœu de ne pas mourir égorgé, c’est lui. Ce cadavre sur lequel on recoud une tête décapitée, c’est lui. (…) Lui qui espère contre tout, parce que, n’est-ce pas, les roses poussent bien sur les tas de fumier. Lui qui est tous ceux-là et qui est seulement, journaliste. »
Ces lignes sont un testament. Une radiographie de la peur. Un hommage à tous ceux qui tenaient bon, alors que la nuit s’abattait sur l’Algérie.
Un parcours d’intelligence, de courage et d’humilité
Entre deux chroniques acérées, Saïd Mekbel enseignait la mécanique des fluides, formait des ingénieurs, intervenait dans des écoles militaires et techniques. Il maniait l’humour comme d’autres manipulent les équations. Son talent scientifique et son esprit critique en faisaient une figure unique : un ingénieur devenu satiriste, un professeur devenu combattant de la plume.
Il aimait la photo, les laboratoires improvisés chez lui, les caricatures qu’il ajoutait à ses articles. Il vivait avec l’appétit des curieux, mais écrivait avec le sérieux d’un homme conscient du danger.
Le Matin, Baroud, El Ghoul : les traces vivantes de sa liberté
Ce qu’il laisse aujourd’hui, c’est une école. Une manière d’écrire la vérité sans la travestir, sans la diluer. Une manière d’être journaliste en refusant l’allégeance, la peur ou la facilité.
Le Matin, dont il fut le directeur, porte encore son empreinte. El Ghoul reste une référence pour les nouvelles générations. Mesmar j’ha demeure un symbole des années où la dérision était une survie.
Trente et un ans plus tard : que reste-t-il de Saïd Mekbel ?
Il reste une voix. Une voix qui disait non. Une voix qui riait quand il fallait pleurer. Une voix qui refusa la haine et ne céda jamais le terrain de la dignité. Son assassinat fut un choc. Son héritage, lui, n’a cessé de grandir. Dans les rédactions, les écoles de journalisme, les livres, les mémoires collectives.
Sa tombe repose à Béjaïa, au cimetière Sidi M’Hamed Amokrane. Mais Saïd Mekbel n’est pas enterré. Chaque fois qu’un journaliste algérien refuse la peur, il respire encore un peu.
L’hommage d’un pays
Le 4 décembre 2025, l’Algérie se souvient. Pas pour commémorer une mort. Mais pour rappeler une ligne de vie. Saïd Mekbel n’était pas seulement un journaliste. Il était un homme qui croyait au pouvoir de la vérité. Un homme persuadé que l’humour peut devenir un acte de résistance. Il écrivait avec la précision d’un ingénieur et l’insolence d’un poète. Il parlait pour ceux qu’on faisait taire.
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