Xavier Emmanuelli, une conscience humaniste s’est éteinte !

Médecin visionnaire, fondateur du Samu social et figure majeure de la solidarité, Xavier Emmanuelli est mort à 87 ans. La France perd un homme dont l’action a changé le rapport aux plus vulnérables.

Publié : 30 novembre 2025 à 19h55 par Djima Kettane

Xavier Emmanuelli
Crédit : Xavier Emmanuelli - Wikipedia CC BY-SA 2.0

Il avait l’allure de ceux qui ne s’arrêtent jamais. Une énergie vive, un regard direct, une voix qui disait l’urgence de soigner et d’agir. Xavier Emmanuelli s’est éteint le 16 novembre à Paris, victime d’un malaise « probablement cardiaque ». Avec lui disparaît un pionnier de l’humanitaire, un médecin animé par une idée simple : personne ne doit être laissé sur le bord du chemin.

Un médecin forgé par l’engagement et la fraternité

Né en 1938 dans une famille corse installée à Paris, Xavier Emmanuelli a grandi dans un foyer marqué par la résistance. Ses parents, instituteurs, avaient caché des enfants juifs durant la guerre et furent reconnus « Justes parmi les nations ». Cette filiation, empreinte de transmission et de courage, a guidé toute sa vie.

Jeune homme, il hésite entre la philosophie et la médecine, milite intensément, croise Bernard Kouchner sur les bancs de la fac et participe aux combats antifascistes. La médecine s’impose finalement comme une vocation. Après ses premières années d’exercice aux Houillères, puis dans la marine marchande, il découvre l’urgence et la nécessité du collectif.

Ces années en mer, racontait-il, lui avaient appris la responsabilité immédiate et la fraternité de bord, celle qui ne laisse personne tomber.

Médecins sans frontières : le début d’une aventure essentielle

En 1971, il participe à la création de Médecins sans frontières, une organisation qu’il décrivait comme « mon histoire d’amour, vraiment ». Il y apprend l’importance de la logistique, de la hiérarchie de terrain et de la confiance absolue entre équipes. L’humanitaire devient pour lui un acte de soin doublé d’un acte politique : refuser l’indifférence face à la souffrance.

À Nanterre, au contact des sans-abri, il comprend que la grande exclusion se traite comme une urgence médicale. « J’ai regardé, cliniquement, ce que cela représentait, la grande exclusion. Le Samusocial vient de là », expliquait-il plus tard.

Le Samu social, une révolution dans la lutte contre la précarité

À la fin de 1993, avec Dominique Versini, il fonde le Samu social de Paris. L’idée est simple et radicale : aller vers ceux qui ne demandent plus rien, intervenir la nuit, écouter avant d’agir, soigner sans détourner le regard.

Le numéro 115 devient l’un des symboles de ce combat. À partir de 1998, il étend son action au monde entier en créant le Samusocial international. Aujourd’hui, plus d’une quinzaine d’antennes – du Caire à Dakar, de Lima à Bucarest – œuvrent auprès des sans-abri, des enfants des rues, des réfugiés et de toutes les populations écrasées par la misère.

Le Samusocial international a salué « cette personnalité exceptionnelle pour son engagement sans faille (…) et dont il a porté toutes les batailles ».

Un homme de convictions, fidèle à une idée de la justice sociale

Celui qui fut médecin-chef à Fleury-Mérogis et témoin de vies brisées refusait de réduire les plus fragiles à des dossiers administratifs. Et quand les moyens du Samu social furent drastiquement réduits en 2011, il claqua la porte. « Ça me faisait chier de voir que les gens sont à l’abandon (…) Ça me dérange », disait-il. Une phrase brute, à son image : entière, indignée, profondément humaine.

Son engagement le conduit aussi au gouvernement. Nommé secrétaire d’État à l’action humanitaire d’urgence dans les années Juppé, il défend l’idée que la politique doit être au service des vies sauvées, non des postures. Mais il répétera toujours n’avoir « épousé ni les idées de droite ni celles de gauche », fidèle à sa ligne : servir avant tout.

De 1997 à 2015, il préside le Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées et siège dans plusieurs instances nationales, dont l’Ofpra et la Commission nationale consultative des droits de l’homme.

Un flot d’hommages pour un « humaniste inlassable »

La nouvelle de sa disparition a suscité une vague d’émotion. « Avec lui disparaît un grand humaniste de notre République », a réagi Emmanuel Macron. Sa famille a déclaré qu’il était « mort comme il a vécu, avec des semelles de vent ».

Jacques Carles, président du Samusocial international, a salué « un homme dont la vie s’est arrêtée brutalement », mais dont l’œuvre continuera longtemps. Le ministre Vincent Jeanbrun a parlé d’un « humaniste inlassable ». Jean-Pierre Farandou a salué « un engagement qui a marqué notre pays ». Dominique de Villepin a rendu hommage à « l’une des grandes consciences sociales » de la France. « Nous t’imaginions immortel tant une force juvénile indomptable t’animait », a écrit Valérie Pécresse.

Un héritage immense, matériel et moral

La trace qu’il laisse dépasse les structures qu’il a bâties. Elle réside aussi dans une manière d’être. Une fidélité, une chaleur, une façon de regarder l’autre sans filtre ni distance. Ses racines corses, disait-il, l’avaient façonné : « le parler vrai, la loyauté, la chaleur ».

Il aura montré que l’action humanitaire est d’abord un acte d’amour mis en mouvement. Qu’elle peut changer des existences, réparer des vies, transformer des politiques publiques. Son héritage est là : dans chaque maraude qui veille, dans chaque appel au 115, dans chaque équipe du Samusocial qui continue cette œuvre née d’un refus de l’indifférence.

Xavier Emmanuelli n’est plus. Mais la France, et au-delà, garde son empreinte : celle d’un homme pour qui la dignité humaine n’a jamais été négociable.