Quand le silence politique fait le lit de la violence !
Douze attentats d’extrême droite ont été déjoués depuis 2017 en France. Derrière les discours haineux, une violence bien réelle qui tue. Comme à Puget-sur-Argens.
Publié : 4 juin 2025 à 16h05 par La rédaction
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Quand la haine change de calibre, elle ne se contente plus d’infecter les esprits : elle tue. À Puget-sur-Argens, le racisme a trouvé un flingue, et un nom.
Le 31 mai dernier, Hichem Miraoui tombait sous les balles de son voisin. Un crime raciste, revendiqué, dont l’auteur publiait régulièrement des vidéos haineuses, armé, invoquant une « guerre ethnique ». Le parquet antiterroriste s’est saisi de l’enquête, une première en France pour un meurtre qualifié de terrorisme d’extrême droite.
Ce drame rappelle une réalité que certains préfèrent ignorer : depuis 2017, douze projets d’attentats d’extrême droite ont été déjoués, selon la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). Derrière les chiffres, un paysage idéologique dangereux, nourri par des récits violents en ligne, des fantasmes de « grand remplacement » et une volonté assumée d’en découdre.
Deuxième menace après le djihadisme
Si l’opinion publique reste focalisée sur les attentats islamistes, les services de renseignement classent désormais l’extrême droite comme la deuxième source de menace terroriste dans le pays. Groupuscules néonazis, survivalistes, identitaires violents : ces cercles partagent une obsession pour la race, la pureté, et une haine des minorités.
En 2021, un projet d’attentat visant Emmanuel Macron avait été déjoué. L’auteur, un sympathisant de l’ultradroite, souhaitait abattre le président lors d’une visite officielle. L’année suivante, en Moselle, deux hommes préparant une attaque contre une loge maçonnique et des cibles juives sont arrêtés. En 2018, un groupe planifiait de tuer des femmes voilées au nom de la « reconquête identitaire ».
Du clavier à la gâchette
Ce qui alarme les services de renseignement, c’est la transformation de simples internautes en terroristes. Des individus isolés, souvent blancs, sans antécédents judiciaires, qui basculent dans la haine via des contenus diffusés sur Telegram, Odysee ou les forums complotistes. Leur cible est claire : les musulmans, les Arabes, les étrangers.
En 2021, un jeune homme proche de la mouvance identitaire a été arrêté alors qu’il préparait un attentat contre une mosquée à Limoges. Il se disait inspiré par le tueur de Christchurch. Même schéma à Grenoble en 2020 : un trentenaire prévoyait de s’en prendre à des femmes voilées. Son ordinateur regorgeait de vidéos néonazies et de manifestes islamophobes.
« On assiste à un terrorisme du quotidien, sans cellule ni chef, mais avec des ennemis désignés : les musulmans », explique un expert de la DGSI. L’idéologie qui sous-tend ces projets repose sur la peur de l’islam, du métissage, et sur l’idée délirante d’un effacement culturel de la France. Le passage à l’acte, lui, est souvent préparé dans l’ombre, dans le silence d’un salon, entre haine partagée et fascination pour les armes.
Des victimes oubliées
Les attentats racistes visant des personnes d’origine arabe ou musulmane se multiplient, souvent dans l’indifférence. En 2024, Aboubakar Cissé a été assassiné dans une mosquée du Gard.
En 2022, un couple de parents d’élèves musulmans a été agressé à Toulouse par un homme qui criait : « Rentrez chez vous ! » ; armé d’un pistolet, il avait prémédité son acte. En 2015, Ismaël Bouzid a été poignardé à mort à Marseille par un individu issu de la mouvance identitaire. Aucun de ces noms n’a marqué les mémoires nationales.
Ibrahim Ali, 17 ans, a été tué d'une balle dans le dos en 1995 à Marseille par un colleur d’affiches du Front National. Il courait pour attraper son bus. Le tireur n’a jamais nié son geste, affirmant qu’il avait tiré « dans le vide ». Mais ce soir-là, il visait un jeune Noir, dans une ville tendue par les discours de haine.
Saïd Bouziri, militant antiraciste, a été battu à mort en 1972 à Paris par des activistes d’extrême droite. Il militait pour les droits des immigrés et refusait de se taire. Son combat pour l’égalité lui a coûté la vie.
Plus récemment, Djamel Bendjaballah, éducateur d’origine algérienne, a été tué en août 2024 à Cappelle-la-Grande, percuté à deux reprises par Jérôme D., un militant d’extrême droite. L’agresseur l’avait harcelé pendant des années, le traitant de « bougnoule » et de « sarrasin ». Malgré quatre plaintes déposées par la victime, aucune suite n’avait été donnée. Le soir du meurtre, Jérôme D. a foncé sur Djamel avec sa voiture, l’a projeté sur le toit de son véhicule, puis a déclaré aux policiers : « Je crois que j’ai tué quelqu’un. »
Dans son coffre, les enquêteurs ont retrouvé une machette, des cartouches, un drapeau français et une pochette intitulée « Brigade française patriote – Se préparer à résister ». Chez lui, un véritable arsenal : grenades, armes à feu, munitions. Et pourtant, à ce jour, la justice ne retient pas la circonstance aggravante de racisme. Un choix incompréhensible pour ses proches, qui ont lancé une pétition nationale.
Comme Hichem Miraoui, tous ces hommes ont été tués parce qu’ils étaient arabes, musulmans, ou perçus comme tels. Ils ne sont pas des faits divers : ils incarnent une violence politique, nourrie de peur et de fantasmes. Une violence que l’État a trop longtemps minimisée.
Une société à réveiller
Pour Olivier Faure, Premier secrétaire du Parti socialiste, « il est temps de nommer cette violence et de la combattre avec la même fermeté que celle d’inspiration djihadiste ». Même constat du côté des associations antiracistes, qui alertent sur la banalisation des propos haineux. « C’est ce climat, ce terreau idéologique, qui rend ces crimes possibles », souligne SOS Racisme.
À Puget-sur-Argens, une marche blanche est prévue pour Hichem ce dimanche 8 juin. Mais au-delà de l’émotion, c’est une prise de conscience qu’appellent les siens. Que la République se défende. Qu’elle protège. Et qu’elle regarde enfin cette menace dans les yeux.
Une République sous tension
Face à l’onde de choc, le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau a condamné le crime, parlant d’« un crime anti-Français ». Mais son absence sur les lieux du drame a été critiquée.
Pour Paul Quinio, dans une tribune publiée par Libération, ce refus de se rendre à Puget-sur-Argens, alors même qu’il s’est rendu à l’ambassade de Tunisie, témoigne d’une gêne politique : « Quand on attise à longueur de journée les haines, la peur de l’autre, quand son fonds de commerce consiste à brandir une identité française fantasmée, il n’est pas facile d’être audible. »
Les mots sont là, mais les actes manquent. Pour nombre d’associations, ce silence relatif devant un crime raciste remet en cause la sincérité de l’engagement républicain.
Le racisme peut tuer
L’attentat de Puget-sur-Argens rappelle brutalement que l’extrême droite n’est pas seulement une idée ou un vote. C’est un danger réel. Un homme a été tué pour ce qu’il était. Comme d’autres avant lui : Clément Méric, assassiné en 2013 par des skinheads ; Mireille Knoll, survivante de la Shoah, tuée en 2018 ; ou encore Ilan Halimi, mort en 2006 après avoir été enlevé et torturé.
Ce sont des heures sombres que l’on croyait révolues, mais qui resurgissent avec violence. Selon les services de renseignement, douze attentats terroristes d’extrême droite ont été déjoués depuis 2017. Douze tentatives de passer à l’acte. Douze occasions évitées de peu.