La grâce de Boualem Sansal et la méthode Nuñez : vers une relance du dialogue entre Alger et Paris ?

Après des mois de crispations, un mouvement se dessine entre Paris et Alger. La libération de Boualem Sansal et l’arrivée de Laurent Nuñez à l’Intérieur changent la dynamique et rouvrent des canaux jusqu’ici gelés. Entre l’ombre des crises passées et l’espoir d’un dialogue retrouvé, les deux capitales testent les premiers signes d’un possible réchauffement.

Publié : 15 novembre 2025 à 12h46 par La Rédaction

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Après plus d’un an de crise diplomatique majeure entre la France et l’Algérie, une éclaircie pointe à l’horizon. La récente grâce accordée à l’écrivain Boualem Sansal par Alger et le changement de ton incarné par le nouveau ministre de l’Intérieur, Laurent Nuñez, esquissent un timide dégel. Une éventuelle rencontre entre Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune en marge du G20 fin novembre et la possible visite prochaine de Laurent Nuñez à Alger alimentent l’espoir d’un rapprochement. Mais cette détente annoncée saura-t-elle surmonter les profondes rancœurs accumulées ?

La libération de Sansal, un signal fort

Il y a quelques jours à Berlin, Boualem Sansal, écrivain franco-algérien, a retrouvé la liberté. Après une année passée dans une prison algérienne pour « atteinte à la sûreté nationale » – il avait été condamné à cinq ans de détention – l’auteur a bénéficié d’une mesure de grâce présidentielle signée par Abdelmadjid Tebboune.

Cette libération inespérée, obtenue officiellement grâce à la médiation de l’Allemagne, a été saluée à Paris comme un geste d’ouverture diplomatique majeur. Le président de la République Emmanuel Macron y a vu « le fruit des efforts constants de la France et d’une méthode faite de respect, de calme et d’exigence », remerciant au passage son homologue allemand pour ses bons offices dans cette médiation. De son côté, le ministre de l’Intérieur Laurent Nuñez – en première ligne sur le dossier algérien – a qualifié la grâce de Sansal de « geste d’humanité » et s’est félicité de cette décision qui, selon lui, impose de « réengager le dialogue » sécuritaire avec Alger. Invité par son homologue algérien, Nuñez a même révélé que « la probabilité qu’[il] se rende en Algérie [était] très forte » dans un avenir proche.

Une année de tensions et de malentendus

Ces signes d’apaisement surviennent après une année marquée par l’une des pires brouilles franco-algériennes depuis l’indépendance de 1962. À l’été 2024, un sérieux coup de froid s’était installé lorsque Paris avait apporté son soutien à un plan d’autonomie marocain pour le Sahara occidental, provoquant la colère d’Alger. En représailles, l’Algérie avait rappelé son ambassadeur, amorçant une crise diplomatique profonde. D’autres incidents sont venus envenimer la situation dans les mois suivants : l’arrestation en France, au printemps 2025, d’un agent consulaire algérien accusé d’avoir participé à l’enlèvement d’un influenceur critique du gouvernement d’Alger (l’affaire « Amir DZ ») s’est soldée par des expulsions réciproques de diplomates. Surtout, la révélation fin juin de l’incarcération en Algérie du journaliste français Christophe Gleizes – détenu pendant des semaines – a accentué la méfiance mutuelle.

L’affaire Gleizes, symbole d’un climat délétère

Christophe Gleizes, collaborateur du magazine So Foot, était entré en Kabylie pour un reportage sportif lorsqu’il a été arrêté en mai 2024. Fin juin, la justice algérienne l’a condamné à sept ans de prison ferme pour « apologie du terrorisme » et « possession de publications à but de propagande nuisible à l’intérêt national », lui reprochant ses contacts avec un dirigeant de club de football lié à un mouvement MAK qualifié de terroriste par Alger.

Le changement de méthode avec l’arrivée de Nuñez

C’est dans ce contexte tendu qu’est intervenue la nomination de Laurent Nuñez au ministère de l’Intérieur en fin d’été 2025, en remplacement de Bruno Retailleau. Là où son prédécesseur, issu des Républicains, prônait la fermeté absolue et le bras de fer avec Alger – n’hésitant pas à critiquer la « mollesse » supposée d’Emmanuel Macron sur ce dossier – Laurent Nuñez incarne un changement de cap. Partisan déclaré de l’apaisement, il estime que « la stratégie du bras de fer ne fonctionne pas ».  

La “méthode Nuñez”, un pari sur l’apaisement

Sa « méthode », en phase avec la ligne élyséenne, consiste à renouer des canaux de dialogue exigeants mais respectueux. « Il faut engager ce dialogue dans des conditions d’exigence. On a beaucoup de choses à demander (…) On va réengager des canaux sécuritaires », a martelé Nuñez en référence aux nombreux sujets épineux à régler. Parmi ces dossiers figure en bonne place la coopération antiterroriste au Sahel, mise à mal par la brouille. La situation sécuritaire au Mali et dans la région s’étant aggravée, Français et Algériens ont intérêt à échanger renseignements et expertise pour contenir la menace jihadiste.

Des relations sécuritaires à reconstruire

Or, depuis plus d’un an, « nous avons atteint un point extrêmement bas de coopération opérationnelle en matière antiterroriste », alertait récemment le patron de la DGSE Nicolas Lerner, en évoquant la nécessité de retisser les liens avec Alger. De même, la coopération migratoire est au point mort : les expulsions de clandestins algériens depuis la France sont quasiment suspendues, faute de laissez-passer consulaires – une situation intenable alors que « 40 % des occupants des centres de rétention administrative [en France] sont de nationalité algérienne », selon Laurent Nuñez. Convaincre Alger de reprendre ces procédures fera partie des objectifs concrets de la « diplomatie du concret » que prône le ministre.

Un retour progressif des signaux positifs

Ces dernières semaines, plusieurs signaux indiquent que l’heure est venue de desserrer l’étau et de normaliser progressivement la relation franco-algérienne. À Paris, on confiait que des « signaux publics et non publics » en provenance d’Alger montraient une volonté de reprise du dialogue. La grâce de Boualem Sansal est le geste le plus visible de ce dégel en cours. Dès son annonce, l’idée d’un prochain contact au plus haut niveau a refait surface.

Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune doivent tous deux participer au sommet du G20, les 22 et 23 novembre à Johannesburg. Selon les informations de la rédaction de Beur FM, une conversation téléphonique, voire une rencontre en tête-à-tête, est envisagée en marge du sommet.

La perspective d’un sommet décisif

Emmanuel Macron s’est d’ailleurs dit « disponible pour échanger » avec son homologue algérien sur « l’ensemble des sujets d’intérêt commun », signe qu’un dialogue direct pourrait reprendre à brève échéance. Parallèlement, Paris et Alger planchent sur des visites de haut niveau : plusieurs hauts fonctionnaires français devraient se rendre en Algérie prochainement et Laurent Nuñez lui-même prépare son déplacement – probablement une visite de travail à Alger dans les semaines qui viennent, même si « aucune date n’est encore arrêtée ».

Des gestes économiques et mémoriels attendus

Ce retour des contacts officiels pourrait aussi s’accompagner de gestes économiques et symboliques, comme le soutien attendu de la France à la révision de l’accord d’association entre l’Algérie et l’Union européenne ou de nouvelles initiatives mémorielles autour de la colonisation, pour tourner définitivement la page des contentieux historiques.

Le procès Gleizes, test majeur pour la nouvelle stratégie

Reste le cas sensible de Christophe Gleizes. Sa situation préoccupe au plus haut point les autorités françaises, qui y voient un test pour la « méthode Nuñez ». « Nous restons évidemment extrêmement attentifs à la situation de notre compatriote Christophe Gleizes, dont nous demandons la libération prochaine », a rappelé le Quai d’Orsay, tout en prenant soin de laisser la justice algérienne suivre son cours normal.  Le procès en appel du journaliste est fixé au 3 décembre à Tizi Ouzou, à l’est d’Alger.

Vers un dégel fragile mais réel

Laurent Nuñez, fort de son expérience de préfet et de coordinateur antiterroriste, mise sur le pragmatisme pour recoller les morceaux du lien franco-algérien. Sa démarche, soutenue par l’Élysée, est guidée par la conviction qu’Alger et Paris ont plus à perdre qu’à gagner dans une confrontation stérile. Les premiers résultats – la libération de Sansal, la perspective d’une poignée de main Macron-Tebboune, la réactivation des canaux de discussion – semblent donner raison à cette stratégie d’ouverture exigeante.

Pour l’heure, tous les regards sont tournés vers Johannesburg et Alger, où se joue une délicate partie diplomatique entre deux partenaires que tout invite à renouer le fil, sans oublier les leçons d’une année de froid glacial.