Le divorce entre l’Algérie et la France est-il déjà consommé ?
Entre escalade diplomatique, mémoire coloniale et sanctions économiques, les relations entre Alger et Paris atteignent un niveau de tension inédit. Des expulsions de diplomates aux restrictions de visas, en passant par des déclarations chocs, chaque camp multiplie les gestes de tension. Dans ce bras de fer, économie, diaspora et histoire coloniale se retrouvent prises en otage d’un divorce qui ne dit pas encore son nom, mais qui se rapproche dangereusement du point de rupture.
Publié : 1er septembre 2025 à 21h45 par La Rédaction
/t:r(unknown)/fit-in/1100x2000/filters:format(webp)/medias/AeWr17FGuu/image/France_Alg_rie1663088056105-format16by9.jpg)
Depuis plusieurs mois, les relations entre la France et l’Algérie traversent une zone de turbulences inédites. Ces derniers jours, la tension est encore montée d’un cran avec une escalade de mesures et de déclarations hostiles de part et d’autre. Alors que Paris et Alger s’accusent mutuellement d’être responsables de la crise, certains observateurs redoutent désormais une rupture diplomatique pure et simple entre les deux pays. Comment en est-on arrivé là ? Quelles en sont les causes profondes et que risquent la France et l’Algérie dans ce bras de fer ? Éclairage géopolitique sur une crise aux enjeux multiples.
Paris et Alger, un couple diplomatique au bord de la séparation ?
Le « divorce » entre Alger et Paris n’est pas officiel, mais la relation n’a jamais paru aussi fragile. Début août 2025, Emmanuel Macron suspend les visas de long séjour pour les Algériens et bloque ceux de court séjour pour les détenteurs de passeports officiels. Motif : le manque de coopération sur les expulsions et la sécurité régionale.
En riposte, Alger dénonce l’accord de 2013 sur l’exemption de visas pour les diplomates français et met fin à la mise à disposition gratuite de biens immobiliers à l’ambassade de France, dont la luxueuse résidence de l’ambassadeur occupée depuis 1962 pour un franc symbolique.
Cette confrontation s’inscrit dans une série de crises ouvertes depuis 2021. En 2024, malgré quelques échanges téléphoniques et un projet de visite à Paris, la méfiance persiste. Alger pose des conditions strictes – mémoire, visas, essais nucléaires – avant toute normalisation.
L’escalade s’est encore accentuée à la fin août 2025. Le chargé d’affaires français a été convoqué par le ministère algérien des Affaires étrangères après un communiqué jugé « inacceptable » de l’ambassade de France, annonçant publiquement une réduction du nombre de visas délivrés après la réduction de leurs effectifs. Alger dénonce une stratégie de « chantage, marchandage et intimidation » et rappelle que le blocage des accréditations françaises n’est qu’une réciprocité au refus de Paris de valider, depuis plus de deux ans, la nomination de dizaines de diplomates algériens.
Des tensions diplomatiques au plus haut
S’ensuit une série de « coups de semonce » diplomatiques : visites d’État sans cesse repoussées, échanges d’accusations et gestes de rétorsion. Finalement reprogrammée pour fin septembre 2024, cette rencontre au sommet a de nouveau été torpillée par un regain de tensions : dans une interview télévisée, M. Tebboune a « écarté l’idée » de se rendre à Paris.
Le torchon brûle tout particulièrement depuis l’été 2024, lorsque la France a officiellement appuyé le plan d’autonomie marocain sur le Sahara occidental. Alger a immédiatement rappelé son ambassadeur en juillet 2024 et réduit sa représentation diplomatique à Paris (seul un chargé d’affaires y est resté).
Quelques mois plus tard, en octobre 2024, Abdelmadjid Tebboune tenait des propos envers Paris, allant jusqu’à comparer une visite en France à une capitulation « Je n’irai pas à Canossa », a-t-il lancé.
L’année 2025 a enfoncé le clou. En avril 2025, un incident d’espionnage digne de la Guerre froide a fait exploser ce qu’il restait de cordialité : après l’arrestation en France d’un agent consulaire algérien soupçonné d’être impliqué dans l’enlèvement d’un opposant Amir DZ sur le sol français, Alger a déclaré persona non grata douze employés de l’ambassade de France et exigé leur départ sous 48 heures
Paris a riposté « symétriquement » en expulsant douze diplomates algériens et en rappelant son ambassadeur à Alger, Stéphane Romatet, pour consultations.
Bruno Retailleau, visage du conflit diplomatique entre la France et l’Algérie ?
La crise prend un tour personnel avec le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau. Le 13 avril, Alger le qualifie de « ministre qui excelle dans les barbouzeries » et lui impute l’arrestation d’un agent algérien, présenté comme traité « tel un voleur ».
Bruno Retailleau assume la ligne dure. Dès février, il prône un bras de fer migratoire et évoque la remise en cause des accords de 1968. L’Élysée écarte cette idée, mais le ministre multiplie les avertissements, accusant sur CNews la France d’être « un terrain de jeu pour les services algériens » et soutenant les expulsions réciproques de diplomates.
En mars, après le refus par Alger d’une liste de soixante ressortissants expulsables, il promet une « riposte graduée ». Le 17 mars, l’Algérie rejette formellement la liste. En juillet, il frappe l’élite politique algérienne : quarante hauts responsables sont privés de visas, laissez-passer et privilèges en France, une liste qui pourrait atteindre 80 noms.
Alger dénonce une « violation manifeste » de la Convention de Vienne et menace de saisir l’ONU. Le 26 juillet, elle retire tous les accès privilégiés aux ports et aéroports pour les diplomates français et met fin aux facilités accordées aux valises diplomatiques, accusant Bruno Retailleau d’entraver leur acheminement. Selon Alger, ces mesures seraient dictées par l’extrême droite et risqueraient d’avoir des conséquences « incalculables ».
Dans ce climat de tension politique, la sphère culturelle n’est pas épargnée, avec l’affaire Boualem Sansal qui illustre l’extension du conflit au champ symbolique.
Boualem Sansal au cœur des crispations politiques ?
Boualem Sansal, écrivain franco-algérien, a été arrêté le 16 novembre 2024, à son arrivée à l'aéroport d'Alger. Cette arrestation fait suite à des déclarations controversées faites dans un média français d'extrême droite, où il évoque les frontières historiques entre l'Algérie et le Maroc.
Il est placé sous surveillance médicale en raison de son état de santé fragile. Le 27 mars 2025, il est condamné à cinq ans de prison et une amende de 500 000 dinars algériens pour « atteinte à l’unité nationale ». En juillet 2025, une grâce présidentielle est envisagée, mais elle est finalement rejetée, maintenant ainsi Boualem Sansal en détention.
Peu après, le journaliste français Christophe Gleizes a lui aussi été condamné en Algérie à une lourde peine de sept ans de prison pour « apologie du terrorisme ». Paris a dénoncé ces emprisonnements comme arbitraires et politiquement motivés, y voyant une prise d’otages diplomatiques.
La mémoire coloniale, un contentieux toujours vif
Soixante ans après l’indépendance, la mémoire coloniale reste un champ de bataille diplomatique. Alger exige « la vérité historique » et des excuses officielles, quand Paris refuse la repentance. Abdelmadjid Tebboune parle de « génocide » sous la colonisation, évoquant « 4 millions d’habitants avant 1830 contre 9 millions en 1962 ». Il accuse une « minorité haineuse » en France de bloquer toute avancée.
En 2021, Emmanuel Macron dénonçait une « rente mémorielle », déclenchant la colère d’Alger. Une commission mixte d’historiens a été créée. Ses recommandations, début 2024 : restitution d’archives et d’objets emblématiques (dont le sabre de l’émir Abdelkader), numérisation et échange de millions de pages, expositions communes, et travail sur les essais nucléaires français au Sahara.
Mais pour Alger, l’essentiel manque : reconnaissance des crimes, excuses et réparations symboliques. Sur les essais nucléaires (1960-1966), Abdelamdjid Tebboune interpelle : « Vous voulez qu’on soit amis, venez nettoyer les sites ». Paris a multiplié les gestes mémoriels (ouverture d’archives, reconnaissance de massacres, restitution de crânes de résistants), sans aller jusqu’aux excuses. Résultat : la méfiance perdure et empoisonne toute la relation bilatérale.
Migration et visas : un bras de fer permanent
La question migratoire reste l’un des points de friction majeurs. En février 2025, le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, annonce la suspension de l’exemption de visas pour certains officiels algériens, y compris les détenteurs de passeports diplomatiques. Alger affirme avoir découvert la mesure dans la presse, y voyant une provocation.
La riposte est immédiate : le ministère algérien des Affaires étrangères accuse Paris de suivre « les ordres de l’extrême droite » et prévient de conséquences « incommensurables » si ces menaces se concrétisent.
Les tensions montent encore lorsqu’un ex-directeur de cabinet de la présidence algérienne est refoulé à Paris pour un document manquant, et que l’épouse d’un ambassadeur est retenue en transit. Alger dénonce un « harcèlement » et interdit à ses diplomates de voyager en France tant que dureront ces pratiques.
Des échanges économiques fragilisés
Si l’histoire et les visas fâchent, l’économie ne parvient pas non plus à jouer son rôle traditionnel de passerelle. Certes, la France reste un bon partenaire économique de premier plan pour l’Algérie. Mais la crise diplomatique a eu un impact direct sur les affaires. Selon les douanes françaises, les exportations tricolores vers l’Algérie ont chuté de 18 à 25 % au premier trimestre 2025, tombant sous le seuil symbolique du milliard d’euros. Plusieurs contrats ont été perdus : la France a notamment été exclue de deux appels d’offres majeurs pour la fourniture de blé à l’Algérie, un marché où elle était traditionnellement bien placée
Les secteurs du BTP, de la pharmaceutique ou des équipements industriels voient ainsi la concurrence s’intensifier, avec des firmes italiennes, espagnoles, turques ou chinoises. Même dans le domaine céréalier, Paris se retrouve évincé au profit d’autres fournisseurs. Le bras de fer diplomatique s’invite aussi dans les échanges énergétiques, quoique de manière prudente. La France importe une partie de son gaz d’Algérie – environ 5 milliards d’euros d’hydrocarbures algériens en 2024.
En parallèle, plusieurs grands groupes français comme TotalEnergies ou Renault observent avec inquiétude la dégradation du climat politique. Leurs investissements, autrefois présentés comme des symboles de coopération bilatérale, sont fragilisés. Certains projets sont gelés, tandis que la concurrence turque et chinoise profite de l’espace laissé vacant par Paris.
Conscients du danger de voir le fossé se creuser irrémédiablement, des acteurs économiques tentent de maintenir le dialogue en marge du fracas politique. En juin 2025, une délégation d’une vingtaine de patrons français s’est rendue à Alger pour participer à des Journées de l’industrie, marquant la première rencontre d’ampleur entre opérateurs des deux pays depuis plus de six mois
La diaspora algérienne, victime collatérale de la crise ?
Plusieurs millions de Franco-Algériens vivent aujourd’hui sous la pression d’une relation bilatérale en crise. Fait inédit, la communauté s’est retrouvée directement visée par un discours politique. Le 15 mai 2025, la porte-parole du gouvernement, Sophie Primas, déclare que l’exécutif travaille sur « d’autres dispositions plus importantes, en particulier sur une partie de la diaspora algérienne ».
Des responsables associatifs alertent sur le danger pour la cohésion nationale. « Chaque fois qu’il y a de la tension entre ces deux États, ce sont des millions de personnes […] qui se sentent insécurisées dans le pays où ils vivent », rappelle le cardinal Jean-Paul Vesco, archevêque d’Alger.
À cette inquiétude s’ajoutent désormais des difficultés administratives très concrètes. Cartes de séjour expirées, dossiers de changement de statut bloqués, visas d’études suspendus : la crise diplomatique s’invite dans le quotidien de milliers d’Algériens installés en France. Retraités, étudiants ou salariés, beaucoup se retrouvent privés de leurs droits, confrontés à des procédures dématérialisées défaillantes, et plongés dans l’incertitude. Pour de nombreux observateurs, ces blocages ne sont plus de simples lenteurs bureaucratiques mais bien un levier dans le bras de fer politique entre Paris et Alger, transformant les préfectures en champ de bataille silencieux dont les premières victimes sont les plus fragiles.
Au final, une question centrale demeure : jusqu’où iront Paris et Alger dans cette escalade ? Vers une rupture diplomatique assumée, un gel prolongé des relations, ou une médiation discrète pour éviter l’irréparable ? L’avenir des deux pays dépendra de leur capacité à renouer un dialogue malgré un passif lourd et des divergences persistantes.
/t:r(unknown)/fit-in/300x2000/filters:format(webp)/filters:quality(100)/radios/beurfm/images/logo.png)
/t:r(unknown)/fit-in/400x400/filters:format(webp)/medias/AeWr17FGuu/image/Capture_d_e_cran___2025_12_04_a__21_43_051764881108749-format1by1.png)
/t:r(unknown)/fit-in/400x400/filters:format(webp)/medias/AeWr17FGuu/image/ymtzx1lm0ifqtmy1euwb1641223847767-format1by1.jpg)
/t:r(unknown)/fit-in/400x400/filters:format(webp)/medias/AeWr17FGuu/image/160941764667360653-format1by1.jpg)
/t:r(unknown)/fit-in/400x400/filters:format(webp)/medias/AeWr17FGuu/image/IMG_21641764587461150-format1by1.jpg)
/t:r(unknown)/fit-in/400x400/filters:format(webp)/medias/AeWr17FGuu/image/Xavier_Emmanuelli1764528434050-format1by1.jpg)
/t:r(unknown)/fit-in/400x400/filters:format(webp)/medias/AeWr17FGuu/image/Ka_s_Sa_ed1685974943690-format1by1.jpg)