Crise France-Algérie : retraités, étudiants, travailleurs… tous pris dans l’étau administratif !

Entre décisions politiques et bras de fer diplomatique, les relations tendues entre Paris et Alger ont des conséquences directes sur la diaspora algérienne en France.

Publié : 11 août 2025 à 1h45 par La Rédaction

Carte de séjour
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Cartes de séjour expirées, dossiers de changement de statut qui stagnent, visas d’études suspendus… Pour de nombreux Algériens vivant en France, la crise diplomatique entre Paris et Alger ne se joue plus seulement dans les chancelleries. Elle s’invite dans leur quotidien, jusque dans les couloirs des préfectures. Retraités, étudiants, salariés… tous se heurtent à des blocages administratifs qui les privent de leurs droits et les plongent dans l’incertitude.

Cette crispation n’est pas née d’hier. Depuis 2021, la relation bilatérale a enchaîné les chocs : réduction drastique des visas, rappel d’ambassadeur après l’affaire Amira Bouraoui, rupture sur le dossier sensible du Sahara occidental, attaques verbales sur l’accord migratoire de 1968… Chaque épisode a laissé des traces.

Le 15 mai 2025, Sophie Primas, porte-parole du gouvernement, a annoncé que l’exécutif préparait « d’autres dispositions plus importantes », visant « une partie de la diaspora algérienne ». La formulation a déclenché une vive réaction dans les coulisses. Un représentant diplomatique s’est insurgé : « Comment peut-on dire des choses pareilles ? C’est scandaleux et dangereux ». Aujourd’hui, ce bras de fer dépasse le terrain politique : il pèse sur la vie quotidienne de milliers d’Algériens en France.

Des retraités algériens privés de titre de séjour et de droits

Parallèlement à ces tensions politiques, de nombreux Algériens résidant légalement en France – en particulier des retraités ayant travaillé en France et repartis vivre en Algérie – rencontrent depuis peu de graves difficultés administratives pour renouveler leurs titres de séjour. Ces ressortissants âgés disposent en principe d’un certificat de résidence « retraité » de 10 ans.

Le renouvellement de ce titre spécifique est théoriquement de plein droit et gratuit, hormis un timbre fiscal, dès lors que le retraité en fait la demande dans les délais. Cependant, la réalité est toute autre ces derniers mois. Les démarches qui autrefois relevaient de la routine administrative sont devenues un véritable parcours du combattant pour ces retraités algériens, au point que certains se retrouvent brutalement sans papiers en règle. Beaucoup d’Algériens vivant en France estiment que ces difficultés sont liées aux relations tendues entre Alger et Paris. 

Autre raison également, la complexification et la dématérialisation des procédures en préfecture : depuis 2020, la plateforme en ligne ANEF (Administration numérique des étrangers en France) est devenue le passage obligé pour presque toutes les demandes de titres de séjour.

Loin de simplifier la vie des usagers, cet outil enregistre des dysfonctionnements persistants – bugs informatiques, files d’attente virtuelles interminables, manque d’assistance – qui empêchent de nombreux étrangers de finaliser leur demande, même pour un simple renouvellement de carte.

Faute de réponse dans des délais raisonnables, des retraités ayant pourtant longtemps vécu en situation régulière basculent en situation irrégulière du jour au lendemain. Les conséquences humaines sont dramatiques. Sans titre de séjour en cours de validité, ces personnes perdent l’accès à leurs droits sociaux. Le Défenseur des droits – saisi d’un nombre record de plaintes – alerte que l’impossibilité de renouveler son titre entraîne fréquemment la perte de l’emploi ou du logement, et l’interruption des prestations sociales, plongeant l’individu dans une précarité extrême.

Des retraités algériens qui percevaient une pension en France se retrouvent ainsi sans ressources ni hébergement, menacés de se retrouver sans-abri à cause d’un retard administratif. 

Notre rédaction a reçu de nombreux témoignages à ce sujet, rapporte par exemple le cas de chibanis (immigrés âgés) sommés de quitter leurs appartements car leur carte de séjour n’a pu être prolongée à temps. « Une personne incapable de renouveler son titre de séjour risque de perdre son emploi ou son logement, et de se retrouver sans protection sociale » rappelle ainsi le Défenseur des droits dans un rapport accablant.

Cette situation suscite une profonde angoisse chez les premiers concernés. Beaucoup de ces retraités algériens ont vécu et cotisé en France pendant des décennies, et pensaient bénéficier d’un droit de séjour sécurisé pour leurs vieux jours. Or, ils se heurtent désormais à une bureaucratie numérique opaque, sans possibilité de dialoguer avec un agent au guichet. Malgré une décision du Conseil d’État imposant le maintien d’une voie alternative non dématérialisée, nombre de préfectures ont fermé leurs accueils physiques.

Pour ces personnes peu familières d’Internet (et parfois peu francophones), obtenir un rendez-vous en ligne relève de la gageure. Les plus déterminés se déplacent chaque jour devant la préfecture dans l’espoir d’être reçus en urgence, mais on leur oppose systématiquement : « Vous n’avez pas de rendez-vous, vous ne rentrez pas ! ». Ainsi, des retraités se retrouvent piégés hors de la légalité malgré eux, dans l’attente angoissante d’un hypothétique « miracle » numérique

Des étudiants pénalisés par la suspension des visas

La décision de suspendre les visas de long séjour touche de plein fouet les jeunes Algériens admis dans des universités françaises. Beaucoup ont obtenu leur admission, payé leurs frais d’inscription et trouvé un logement, mais restent coincés de l’autre côté de la Méditerranée, faute de visa. Certains établissements français craignent une vague d’abandons dès la rentrée et dénoncent une mesure qui sacrifie l’avenir d’étudiants méritants pour des raisons purement politiques.

Les travailleurs en changement de statut dans l’impasse

La crise ne frappe pas que les retraités et les étudiants. De nombreux travailleurs algériens déjà en France, en CDD ou en mission, attendent un changement de statut pour sécuriser leur séjour. Là encore, les délais explosent. Les dossiers s’accumulent dans les préfectures, parfois pendant plus d’un an, laissant les intéressés sans autorisation de travail et exposés au licenciement. Pour les associations de défense des étrangers, ces retards créent une précarité administrative qui met en péril des carrières et des familles entières.

Des démarches de séjour compliquées pour l’ensemble des Algériens

Bien au-delà des seuls retraités, c’est toute la diaspora algérienne en France qui subit ces obstacles administratifs depuis que les relations se sont tendues. Les associations d’aide aux migrants constatent une multiplication des cas de travailleurs, d’étudiants ou de familles algériennes plongés dans la « galère » des renouvellements de titre de séjour.

Les chiffres confirment l’ampleur du problème : entre 2020 et 2024, les réclamations liées aux droits des étrangers ont augmenté de 400 % auprès du Défenseur des droits. Rien qu’en 2023, un quart des plaintes reçues par cette autorité portaient sur des difficultés de titre de séjour, dont la grande majorité concernant des renouvellements – preuve que même des étrangers déjà installés légalement de longue date se heurtent à des blocages inédits.

Plusieurs cas individuels, révélés par la presse, illustrent cette précarisation soudaine de personnes jusqu’alors en règle. Le journal Libération a ainsi rapporté l’histoire de Mounir, Algérien d’une cinquantaine d’années arrivé en France au début des années 2000 après son mariage avec une Franco-Algérienne. Titulaire d’un titre de séjour “conjoint de Français” qu’il renouvelait sans encombre depuis des années, Mounir a déposé sa demande de renouvellement en novembre dernier. Faute de réponse de la préfecture de l’Oise, son titre a expiré en janvier 2025 : depuis cette date, cet homme qui avait “toujours été en règle” se retrouve sans papiers malgré lui. 

Il vit dans l’angoisse : son contrat de travail risque d’être rompu et il n’ose plus sortir du département de peur d’un contrôle  « Ce sont des immigrés en situation régulière, n’ayant commis aucune infraction, qui se retrouvent en situation irrégulière à cause des retards de la préfecture. Ils perdent leurs droits et mettent un temps fou à les récupérer », dénonce un bénévole de La Cimade à propos de ces cas, ajoutant que « des gens perdent leur emploi ou leurs aides et il n’y a aucun guichet pour les recevoir ».

Pour beaucoup de membres de la diaspora, ces blocages ne relèvent plus de simples lenteurs administratives. Ils sont perçus comme un levier dans un rapport de force entre Paris et Alger. Une guerre silencieuse où les préfectures deviennent, malgré elles, un terrain d’affrontement diplomatique, avec pour premières victimes des milliers de vies suspendues