Entre Paris et Alger, la glace va-t-elle fondre avec Laurent Nuñez à l’Intérieur ?
Le départ de Bruno Retailleau du ministère de l’Intérieur marque un tournant dans les relations entre Paris et Alger. Avec l’arrivée de Laurent Nuñez, le gouvernement espère mettre fin à une année de crispations et renouer un dialogue sécuritaire gelé depuis des mois avec Alger.
Publié : 20 octobre 2025 à 13h23 par La Rédaction
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Après des mois de tensions croissantes, la France change de visage au Ministère de l’Intérieur. Le départ de Bruno Retailleau, tenant d’une ligne dure vis-à-vis d’Alger, et son remplacement par Laurent Nuñez, haut fonctionnaire ouvrent la voie à un possible réchauffement diplomatique entre Paris et Alger. Ce remaniement sonne-t-il la fin du froid glacial entre les deux rives de la Méditerranée ?
Une ère de tensions sous Bruno Retailleau ?
En à peine un an à la tête du ministère de l’Intérieur, Bruno Retailleau aura réussi à braquer Alger, fragiliser la diplomatie française et transformer un dialogue déjà fragile en véritable crise ouverte. Son passage Place Beauvau s’est imposé comme l’un des plus tendus de ces dernières années entre Paris et Alger.
Dès juillet 2025, l’ancien ministre a frappé fort en retirant les privilèges spéciaux dont bénéficiaient près de 80 hauts dignitaires algériens en France. Une mesure prise, selon lui, en riposte à des « provocations » du gouvernement algérien. Cette décision symbolisait sa volonté d’engager une « riposte graduée » face à Alger, marquant la fin, disait-il, de la « diplomatie des bons sentiments ».
Bruno Retailleau s’est également attaqué aux accords bilatéraux de 1968, qui régissent la circulation et le séjour des ressortissants algériens en France. L’ex-ministre s’était déclaré « très favorable » à leur dénonciation, allant jusqu’à affirmer que, si elle n’était pas actée avant 2027, « il faudra le faire après la prochaine présidentielle ». Une position qui a accentué les tensions entre les deux pays.
Tout au long de 2025, l’ancien locataire de la Place Beauvau a multiplié les attaques verbales contre Alger. Il a notamment accusé un consulat algérien, celui de Toulouse, d’avoir délivré des passeports à des migrants clandestins. Dans ses prises de parole, il a assumé une posture de fermeté, estimant qu’« il faut changer de ton » et « assumer un rapport de force que le pouvoir algérien a lui-même choisi ». Selon lui, « la diplomatie des bons sentiments a échoué ».
Mais c’est en avril 2025 qu’un incident consulaire a véritablement mis le feu aux poudres. L’arrestation à Paris d’un agent consulaire algérien, impliqué dans l’affaire dite « Amir DZ », a provoqué la colère d’Alger. Cette interpellation, survenue quelques jours après une visite du ministre des Affaires étrangères à Alger, a été perçue comme une humiliation délibérée.
Ces initiatives musclées de Bruno Retailleau ont profondément irrité Alger. En représailles, les autorités algériennes ont durci sa position : l’ambassadeur d’Algérie en France a été rappelé à Alger dès l’été 2024, gelant de facto une partie des échanges diplomatiques. Le président Abdelmadjid Tebboune est même allé jusqu’à refuser tout contact avec le ministre, déclarant en février dernier à son sujet : « Tout ce qui est Retailleau est douteux compte tenu de ses déclarations hostiles et incendiaires envers notre pays ».
À Alger, Bruno Retailleau était ainsi perçu comme le principal artisan de l’escalade et un interlocuteur indésirable, au point d’être publiquement mis en cause comme responsable direct de l’échec des tentatives de rapprochement franco-algérien.
Un profil conciliant pour renouer le dialogue
Le remaniement du 12 octobre 2025, qui a vu l’installation du second gouvernement de Sébastien Lecornu, a acté le départ de Bruno Retailleau et son remplacement par Laurent Nuñez à l’Intérieur. Ce changement de titulaire Place Beauvau constitue, aux yeux du média francophone algérien TSA , la levée d’un sérieux verrou dans la relation Paris-Alger : « Pour ceux qui souhaitent voir les deux pays renouer le contact, c’est assurément une bonne nouvelle qu’il parte », note-t-on ainsi dans la presse algérienne. Autrement dit, le départ de M. Retailleau ôte un obstacle important sur le chemin d’une reprise du dialogue franco-algérien
Son successeur affiche en effet un profil technocratique et apolitique, à mille lieues de l’idéologie frontale de Bruno Retailleau. Âgé de 61 ans, Laurent Nuñez était jusqu’ici préfet de police de Paris (nommé en 2022) et a fait l’essentiel de sa carrière dans la haute administration du Ministère de l’Intérieur. Ancien directeur général de la Sécurité intérieure (DGSI) et ex-coordonnateur national du renseignement et de la lutte contre le terrorisme, il a travaillé étroitement avec ses homologues algériens sur la coopération sécuritaire durant les dernières années.
Peu connu du grand public, « sans passé politique ni attaches partisanes », ce haut fonctionnaire discret n’a affiché aucune ambition personnelle démesurée ni aucun penchant idéologique marqué. Sa nomination à Beauvau est interprétée comme le choix d’un exécutant loyal : il est jugé très peu probable qu’il s’écarte de la ligne définie par l’Élysée, notamment sur les questions migratoires ou vis-à-vis de l’Algérie. Certains analystes y voient d’ailleurs la volonté d’Emmanuel Macron de neutraliser le dossier algérien en le soustrayant aux surenchères politiciennes qui avaient cours sous son prédécesseur.
Par ailleurs, Laurent Nuñez possède un lien personnel avec l’Algérie qui pourrait faciliter une reprise de contact sur de bonnes bases. Né à Paris de parents originaires d’Oran, qu’ils ont quittée en 1962, il est descendant d’une famille de pieds-noirs rapatriée après l’indépendance. Sans en faire étalage, il a déjà évoqué son attachement familial à l’Algérie et sa conscience des blessures laissées par l’histoire coloniale. Surtout, on ne lui connaît aucune complaisance envers les milieux nostalgiques de l’Algérie française ni aucun discours clivant sur le sujet. Ses proches le décrivent au contraire comme un homme « mesuré, conscient des blessures de l’histoire et désireux de reconstruire une relation de confiance durable » entre les deux rives. Ce ton pondéré et respectueux, tranchant avec la rhétorique abrasive de Bruno Retailleau, est de nature à rassurer Alger.
Vers un dégel progressif des relations ?
Le remplacement de Bruno Retailleau par Laurent Nuñez suscite donc l’espoir d’un dégel dans les relations franco-algériennes, sans pour autant garantir un retournement immédiat de la situation. Certes, le principal élément personnel de discorde a disparu : Alger ne verra plus à Beauvau un ministre qui la provoque ou l’humilie publiquement. Cela ouvre la voie à une désescalade graduelle. Paris et Alger ont d’ailleurs commencé à reprendre langue ces derniers mois, encouragés par les deux présidents.
Dès avril 2025, le ministre des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot s’est rendu à Alger pour « concrétiser la reprise du dialogue » sur les sujets sensibles – migrations, coopération judiciaire, sécurité, économie – dans un esprit de « résultats et d’efficacité ». À Paris, on insistait sur la volonté conjointe des deux capitales de « retrouver une relation apaisée et équilibrée ».
Le nouveau ministre de l'Intérieur Laurent Nuñez a estimé dimanche 19 octobre qu'il devait y avoir un « bougé » dans les relations avec l'Algérie, et affirmé qu'une remise en cause de l'accord franco-algérien de 1968 n'était pas « à l'ordre du jour ». « Je comprends que la tension qu'il y a actuellement avec l'Algérie fait qu'on n'a plus de relation sécuritaire avec eux, d'échanges sécuritaires. Pour un ministre de l'Intérieur, c'est un problème, c'est un gros problème », a-t-il déclaré au micro de France Inter, ajoutant : « Il faudra forcément qu'il y ait un bougé là-dessus. Il faudra à un moment qu'on reprenne le dialogue avec les Algériens sur les questions de sécurité, d'échanges d'informations ». Une déclaration qui confirme la volonté de Beauvau de rétablir une coopération bilatérale longtemps paralysée.
La nomination d’un profil conciliant à l’Intérieur s’inscrit dans cette logique de détente. Elle devrait permettre de retrouver des interlocuteurs crédibles et de restaurer une coordination minimale entre les services des deux pays.
Pour autant, la crise franco-algérienne dépasse la seule personnalité de Bruno Retailleau et ne se résoudra pas du jour au lendemain. De profondes divergences stratégiques et mémorielles subsistent. Côté français, on attend d’Alger qu’elle augmente significativement le taux d’acceptation des laissez-passer consulaires nécessaires au retour des Algériens en situation irrégulière (un taux qui plafonne autour de 40 % actuellement).
Côté algérien, on demeure méfiant après certains gestes jugés hostiles – par exemple, le tournant diplomatique de l’été 2024 lorsque Paris a appuyé le plan marocain sur le Sahara occidental, rompant avec sa traditionnelle neutralité sur ce dossier ultrasensible pour Alger.
Une information qui interroge en plein bras de fer entre la France et l’Algérie. Ce vendredi, l'ambassadeur de France à Alger, Stéphane Romatet, a participé aux commémorations du 17 octobre 1961, jour où une manifestation d'Algériens à Paris avait été violemment réprimée par le préfet de police Maurice Papon. Cette initiative vient de l'Élysée comme un nouveau geste d'apaisement envers Alger. D’après des sources du Quai d’Orsay, le président de la République a voulu envoyer deux messages à son homologue algérien, Abdelmadjid Tebboune, pour rappeler que « la France n’oublie pas ce jour sombre de son histoire ».
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