Accord migratoire France-Algérie : un rapport-choc à 2 milliards d’euros fait polémique ?
La présentation d’un rapport parlementaire estimant à près de 2 milliards d’euros par an le coût de l’accord migratoire franco-algérien de 1968 a relancé le débat autour de ce texte historique. Ses auteurs dénoncent un statut dérogatoire « dépassé ». D’autres, au contraire, fustigent une analyse jugée imprécise, voire inflammatoire, sur fond de tensions diplomatiques entre Paris et Alger.
Publié : 16 octobre 2025 à 11h27 par La Rédaction
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Deux milliards d’euros par an. Ce chiffre, avancé par deux députés du camp présidentiel dans un rapport parlementaire dévoilé le 15 octobre, relance une vieille polémique autour de l’accord de 1968 régissant l’entrée et le séjour des Algériens en France.
Plus d’un demi-siècle après sa signature, ce texte demeure le socle d’un régime migratoire à part entre la France et l'Algérie. Le rapport, présenté par Charles Rodwell (député des Yvelines) – en collaboration avec Mathieu Lefèvre propose purement et simplement de mettre fin à ce statut particulier conféré aux Algériens en matière de circulation, de séjour, d’emploi et de protection sociale. Ses auteurs jugent ces dispositions d’une autre époque : elles « créent une rupture d’égalité […] et entraînent un surcoût important pour nos finances publiques » d’environ 1,5 à 2 milliards d’euros par an. Le document parle d’un régime « complètement dévoyé » par rapport à l’intention initiale de 1968. Mais à peine présenté, il a suscité de vives critiques sur sa méthode et son opportunité, tant de la part de l’opposition que de certains observateurs.
Un accord historique aux dispositions dérogatoires
Signé le 27 décembre 1968, six ans après la fin de la guerre d’Algérie, l’accord franco-algérien visait à encadrer les flux migratoires entre les deux pays dans un contexte post-colonial sensible . Le général de Gaulle, alors président, estimait légitime d’accorder aux Algériens un statut spécifique, eu égard aux 132 ans durant lesquels l’Algérie a fait partie intégrante de la France. De fait, l’Algérie a été française avant même Nice ou la Savoie – un héritage historique qui a justifié un traitement particulier de ses ressortissants. L’accord de 1968 organisait ainsi les conditions dans lesquelles un Algérien peut entrer en France, obtenir un titre de séjour et faire venir sa famille, en dehors du droit commun applicable aux autres étrangers.
Concrètement, les Algériens bénéficient encore aujourd’hui de ce régime administratif par rapport aux autres nationalités non-européennes.
Un « coût » de 2 milliards par an ?
Les rapporteurs Charles Rodwell et Mathieu Lefevre affirment que le maintien de ces dérogations depuis plus de 50 ans engendre un surcoût massif pour la France : au moins 2 milliards d’euros par an en dépenses sociales, sanitaires et administratives.
Selon eux, cette somme engloberait plusieurs postes : aides sociales, dépenses de santé non compensées, et coûts administratifs liés à la gestion de titres de séjour spécifiques.
Ils reconnaissent cependant que cette estimation reste imprécise, faute de données exhaustives. Charles Rodwell souligne que l’État « est aveugle » sur ces coûts, en raison d’un manque de suivi statistique des bénéficiaires du régime dérogatoire.
Parmi les dépenses pointées figure le versement par la France de l’Allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) à des retraités algériens vivant sur son sol. En théorie, un travailleur ayant cotisé vingt ans en Algérie et vingt ans en France devrait recevoir une pension partagée entre les deux pays. Or, selon les rapporteurs, l’Algérie refuse d’appliquer la convention bilatérale de 1980, contraignant la France à compenser la part manquante.
« Les retraités algériens, privés de ressources par leur propre pays, se tournent ainsi vers la France pour l’ASPA », explique Charles Rodwell.
Des critiques sur la méthode et le principe d’égalité
Face à ces conclusions alarmantes, de nombreux responsables politiques appellent à nuancer le tableau. D’abord, le calcul des 2 milliards a été mis en doute. Dans l’opposition, plusieurs députés ont fustigé un chiffrage jugé hasardeux – « très peu étayé » – et un rapport « plus politique que financier ».
« On a l’impression d’un chiffre lancé pour faire la une de CNews, sans savoir d’où il vient », a taclé un parlementaire, qui reproche aux auteurs de brandir un total sans soustraire ce que les travailleurs immigrés algériens apportent à l’économie française.
Selon Sabrina Sebaïhi : « Concernant les retraités algériens, pareil, vous en parlez comme un surcoût. Est-ce que vous proposez de ne plus verser des pensions malgré le fait qu'ils aient cotisé et qu'ils aient fait le choix de vivre en France ? »
En effet, la communauté algérienne en France contribue aussi aux finances publiques : impôts, cotisations sociales, consommation… Ce que l’État verse d’une main en prestations, il le perçoit aussi de l’autre sous forme de taxes et de travail productif. Le rapport ne dit mot de ce solde net – un angle mort qui biaise selon eux le débat.
Ensuite, l’approche strictement budgétaire occulte le rôle positif qu’a joué l’immigration algérienne dans la société française. Depuis les années 1960-70, des centaines de milliers d’Algériens ont participé à la reconstruction et à la croissance économique de la France, occupant des emplois souvent pénibles dans l’industrie, le bâtiment ou les services. Aujourd’hui encore, les citoyens d’origine algérienne sont nombreux à œuvrer dans des secteurs vitaux.
Selon Sabrina Sebaïhi : « Il aurait été peut-être utile dans votre rapport de préciser l'apport aussi des Algériens, que ce soit pour la reconstruction quand vous avez besoin d'ouvriers, que ce soit les 15 000 médecins qui font tenir l'hôpital public aujourd'hui. »
Par ailleurs, certains avantages accordés aux Algériens par l’accord de 1968 trouvent leur contrepartie dans des restrictions particulières. Par exemple, jusqu’à récemment, comme on l’a mentionné, les étudiants algériens en France n’avaient pas la même liberté de travailler à temps partiel que les autres étudiants étrangers – une contrainte spécifique souvent vécue comme injuste.
Enfin, des incohérences méthodologiques ont été relevées dans le rapport parlementaire. Il apparaît que certaines données de « coût » englobent non seulement les immigrés algériens de première génération, mais aussi leurs descendants nés en France. Par exemple, les auteurs évoquent 1,55 milliard d’euros de dépenses de logement social « bénéficiant aux immigrés et descendants d’immigrés algériens ».
Inclure les Français d’origine algérienne dans le calcul des surcoûts interroge – ces citoyens ont les mêmes droits que n’importe quel Français, et les associer à un accord international de 1968 semble hors de propos. « Vous comptez y compris le coût du logement social pour des Français, c’est bien ça ? », s’est indignée une élue lors de la présentation du rapport. Pour elle, cette confusion revient à ethniciser un débat budgétaire, au risque de dériver vers la stigmatisation d’une partie de la population française.
Un débat sous tension, entre politique intérieure et diplomatie
La publication du rapport intervient dans un climat politique et diplomatique déjà électrique. En France, l’exécutif peine à contenir la colère sociale, sur fond d’inflation, de divisions politiques et d’un gouvernement sans majorité solide. Dans ce contexte, la question migratoire refait souvent surface comme un sujet de diversion, capable de déplacer le débat public vers des terrains identitaires.
Remettre sur la table l’accord de 1968, c’est donc aussi parler de mémoire coloniale et de souveraineté nationale. Plusieurs responsables politiques, notamment à droite, réclament depuis longtemps sa dénonciation. Un rapport du Sénat l’avait déjà suggéré en février, et l’ancien ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau plaide ouvertement pour la suppression de ce qu’il qualifie de « passe-droits » accordés à l’Algérie.
Mais sur le plan diplomatique, le moment est explosif. Depuis 2024, les relations franco-algériennes traversent leur pire crise depuis vingt ans : différend sur le Sahara occidental, blocage des expulsions, et l’affaire Boualem Sansal et Christophe Gleizes, tous les deux détenus en Algérie, ont ravivé la méfiance. La suspension par Emmanuel Macron d’un accord sur les visas diplomatiques, en août 2025, a encore tendu les échanges.
Dans ce contexte, le rapport Charles Rodwell et Mathieu Lefèvre agit comme une étincelle sur un terrain déjà brûlant. Même les partisans d’une révision appellent à la prudence. « Ce sujet doit être traité de manière dépassionnée et dans le respect mutuel, sinon on n’y arrivera pas », rappelle le député Belkhir Belhaddad.
Du côté algérien, les autorités se disent prêtes à discuter d’une modernisation technique de l’accord, mais pas à subir un diktat français. Les précédentes tentatives de renégociation, comme celle de Nicolas Sarkozy en 2010, s’étaient soldées par un échec cinglant.
Plus d’un demi-siècle après sa signature, l’accord de 1968 reste un miroir fragile : celui d’une histoire commune que ni la politique, ni la diplomatie, n’ont encore réussi à apaiser.
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