Mohamed Lakhdar-Hamina, l’homme qui a filmé le feu de l’histoire !
Il était l’âme ardente du cinéma algérien. Mohamed Lakhdar-Hamina, dernier géant d’un cinéma engagé, s’est éteint à 95 ans, le jour même où Cannes célébrait les 50 ans de sa Palme d’or pour « Chronique des années de braise ». Ce départ, aussi symbolique que bouleversant, laisse orpheline une cinématographie qui lui doit tant.
Publié : 25 mai 2025 à 13h39 par La rédaction
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C’est un moment de cinéma. Le rideau s’est baissé sur la vie de Mohamed Lakhdar-Hamina, ce vendredi 23 mai 2025, alors que le Festival de Cannes projetait en version restaurée Chronique des années de braise, son chef-d’œuvre palmé en 1975. Cette étrange coïncidence donne à sa disparition une résonance presque mystique. Comme si l’histoire elle-même avait choisi la scène de son adieu.
Le cinéaste algérien est mort chez lui, à Alger, entouré des siens. Dans un communiqué, ses enfants ont salué « sa vision unique qui a marqué l’histoire du cinéma ». Et comment ne pas leur donner raison ? Lakhdar-Hamina n’a pas seulement tourné des films. Il a donné corps à une mémoire, voix à un peuple, et souffle à un continent trop souvent oublié des écrans.
Le chantre du Sud et du combat
Réalisateur, producteur, mais surtout bâtisseur, Mohamed Lakhdar-Hamina a traversé près de quarante ans de cinéma avec une constance : parler du Sud, et surtout, parler juste. Pour sa famille, il avait su bâtir « un pont culturel entre le tiers-monde et l’Occident ». Cette posture, il ne l’a jamais quittée, ni dans Le Vent des Aurès, prix de la première œuvre à Cannes en 1967, ni dans ses films suivants.
Mais c’est bien Chronique des années de braise qui le fera entrer dans l’histoire du 7ᵉ art. Une fresque puissante, construite en six tableaux, retraçant la montée en tension d’un peuple colonisé, jusqu’à l’éclatement de la guerre d’indépendance. Un cinéma au souffle épique, au lyrisme assumé, mais surtout porté par une volonté farouche de témoigner.
L’hommage de la nation
Le président algérien Abdelmadjid Tebboune a salué la mémoire de ce « géant du cinéma mondial ». Dans un message bouleversant, il a rappelé que son œuvre avait « ouvert les yeux du monde sur une partie des souffrances du peuple algérien pendant la période coloniale ». Il a aussi insisté sur l’homme derrière la caméra : « Avant d’être un réalisateur créatif mondial, c’était un moudjahid digne, ayant contribué à la libération de son pays à travers des images et des scènes qui ont fait connaître à l’humanité les héroïsmes de la glorieuse révolution de libération. »
Cette double identité – combattant et conteur – est sans doute ce qui rend Lakhdar-Hamina si unique. Il a su faire du cinéma une arme, mais sans haine. Juste avec la lumière. Celle qui éclaire les cicatrices.
Une trajectoire forgée par la douleur
Né le 26 février 1934 à M’sila, dans les montagnes de l’Aurès, il grandit dans une famille modeste. Son père, enlevé et tué pendant la guerre, laisse une blessure vive. Lui-même rejoint la résistance à Tunis en 1958. C’est là qu’il découvre l’image, à travers un stage aux actualités tunisiennes, avant d’intégrer l’école de cinéma de Prague.
Tout au long de sa carrière, il reste autodidacte dans l’âme. Il apprend en faisant. Il filme pour comprendre. Et surtout, il filme pour ne pas oublier.
Un héritage immense
À la tête de l’Office des actualités algériennes, puis de l’Office national pour le commerce et l'industrie cinématographique, il a formé une génération de cinéastes. Il a aussi produit de grands films internationaux, comme « Z » de Costa-Gavras ou « Le Bal » d’Ettore Scola. Réalisateur de sept longs métrages, dont La Dernière Image ou Vent de sable, il a incarné une idée du cinéma total : à la fois politique, esthétique et populaire.
Avec lui, le cinéma algérien avait une voix forte, une caméra engagée, et un regard amoureux. Celui d’un homme qui croyait que filmer, c’était résister.
Le feu ne s’éteint jamais
La dernière image de Mohamed Lakhdar-Hamina ne sera pas un plan. Ce sera un symbole. Celui d’un homme qui s’éteint pendant qu’on célèbre sa plus grande œuvre. Comme un fondu au noir plein de sens. Mais aussi comme une promesse : celle que ses films, eux, continueront à brûler. Dans les salles, dans les mémoires, et dans les cœurs.