Le sentiment de discrimination en hausse chez les descendants d'immigrés non européens !
Une étude met en lumière une réalité troublante : malgré une amélioration des conditions socio-économiques, les descendants d'immigrés non européens déclarent davantage de discriminations que leurs parents.
Publié : 22 novembre 2024 à 17h40 par La rédaction
Un récent rapport de l’Insee et de l’Ined met en évidence une dynamique inquiétante : le sentiment de discrimination progresse d’une génération à l’autre pour les personnes issues de l’immigration non européenne.
Cette évolution, qualifiée de « paradoxe de l’intégration », révèle que malgré des conditions de vie et d’éducation améliorées, les descendants d'immigrés se sentent davantage victimes de traitements inégalitaires que leurs parents.
Une discrimination persistante et renforcée
Selon l’étude, 34% des descendants d’immigrés non européens déclarent avoir été victimes de discriminations au cours des cinq dernières années, contre 26% de leurs parents immigrés.
Cet écart, qui s’élève à 8 points, s’oppose aux tendances observées pour les personnes d’origine européenne. Chez ces dernières, les discriminations perçues diminuent entre la première et la deuxième génération, passant de 19% à 13%.
Les auteurs de l’étude attribuent cette progression chez les non-Européens à une « altérisation » persistante, renforcée par une plus grande interaction avec la population majoritaire en France. Ce phénomène reflète une contradiction : alors que ces descendants sont nés en France et y ont grandi, ils restent perçus comme étrangers.
Le poids de l’origine géographique
L’origine géographique reste le principal facteur de discrimination. Les personnes d’origine africaine hors Maghreb déclarent un risque 2,9 fois supérieur de subir des discriminations par rapport aux personnes d’origine européenne. De plus, les descendants d’immigrés musulmans signalent des discriminations 1,4 fois plus fréquemment que ceux sans religion.
Certaines catégories, comme les femmes diplômées parmi les descendants européens ou les jeunes adultes issus d’une immigration non européenne, vivent des expériences spécifiques de discrimination qui ne sont pas toujours comparables à celles des autres groupes. Ces inégalités soulignent la complexité des facteurs en jeu.
L’école, un lieu de discrimination précoce
Les discriminations commencent souvent dès l’enfance. Près de 19% des descendants d’immigrés d’origine africaine ou asiatique affirment avoir été moins bien traités durant leur scolarité.
Ces injustices touchent particulièrement les décisions d’orientation. « On m’a souvent orienté vers des filières professionnelles sans tenir compte de mes capacités », rapportent plusieurs témoignages. Ces expériences, parfois banalisées, laissent des traces profondes qui rejaillissent à l’âge adulte.
Les préjugés à l’école semblent également renforcer les expériences futures de discrimination. Les personnes ayant été confrontées à des inégalités durant leur scolarité déclarent 3 fois plus de discriminations à l’âge adulte.
Le déni d’identité française, une altérisation persistante
Le sentiment de ne pas être « vu comme Français » reste une réalité pour de nombreux descendants d’immigrés non européens. Environ 30% des descendants d’origine maghrébine ou africaine ressentent ce déni d’appartenance, contre seulement 8% des descendants d’origine européenne. Ces expériences s’accompagnent souvent d’un « renvoi aux origines », où des questions sur les origines géographiques deviennent un rappel constant de leur altérité.
Ce déni et ce renvoi contribuent fortement au sentiment de discrimination. « Être sans cesse interrogé sur ses origines ou entendre qu’on ne semble pas vraiment Français renforce le sentiment d’exclusion », explique l’étude. Les descendants d’immigrés qui font face à ces situations sont jusqu’à 3 fois plus susceptibles de rapporter des discriminations.
Des trajectoires sociales contrastées
Malgré ces perceptions accrues de discriminations, les descendants d’immigrés non européens affichent des conditions de vie globalement meilleures que celles de leurs parents. Ils bénéficient d’un niveau d’éducation supérieur, d’une mobilité géographique accrue et d’un accès élargi au marché de l’emploi. Toutefois, ces progrès sont moins marqués que pour les descendants d’immigrés européens.
Le chômage reste une problématique majeure : les descendants d'immigrés non européens sont plus souvent sans emploi que leurs homologues européens. Par ailleurs, 23% d’entre eux vivent dans des quartiers prioritaires, contre 7% de la population générale. Ces inégalités spatiales, bien que réduites par rapport à leurs parents, maintiennent une concentration des discriminations dans des environnements déjà défavorisés.
Le rôle du renvoi aux origines
L’un des mécanismes principaux renforçant le sentiment de discrimination est le « renvoi aux origines », c’est-à-dire les questions fréquentes sur l’origine des individus. Cette expérience, vécue comme une altérisation, touche 30% des descendants d’immigrés maghrébins, contre 25% de leurs parents. Ce renvoi systématique accentue la perception de ne pas être considéré comme Français, même pour les personnes nées et ayant grandi dans le pays.
De plus, 34% des descendants d’immigrés africains hors Maghreb estiment qu’on ne les « voit pas comme des Français », un chiffre qui reste élevé, bien qu’inférieur aux 48% de la première génération. Cette marginalisation perçue, combinée à un contexte de discrimination persistante, nourrit une construction identitaire souvent marquée par une forte dimension ethnoraciale.
Un défi pour la cohésion sociale
Les conclusions de cette étude pointent un paradoxe inquiétant. Alors que l’intégration socioéconomique progresse d’une génération à l’autre, la perception des discriminations augmente également, en particulier pour les descendants d’immigrés non européens. Ce phénomène met en lumière les limites des politiques d’intégration basées uniquement sur des critères matériels ou éducatifs.
Pour répondre à ce défi, il apparaît essentiel de repenser les approches de lutte contre les discriminations en France, en tenant compte des mécanismes d’altérisation et des expériences vécues par les populations concernées. Une meilleure reconnaissance de la diversité et une action renforcée contre le racisme structurel pourraient contribuer à inverser cette tendance et favoriser une véritable égalité des chances.
Cette situation pose enfin une question cruciale : comment bâtir une société où les progrès sociaux riment avec une meilleure reconnaissance des identités plurielles, et où chacun se sent pleinement légitime dans sa citoyenneté française ? Une question à laquelle les politiques publiques devront impérativement répondre.