Contrôlés, fouillés, ignorés par la République ?

Hausse générale des contrôles, mais les profils les plus visés ne changent pas. Jeunes, subsahariens ou arabes, ils racontent des expériences marquées par la suspicion, la violence et le silence.

Publié : 25 juin 2025 à 17h56 par La rédaction

Police
Crédit : Jacques Tiberi - Pixabay

Les contrôles d’identité ont explosé en France depuis 2016. D’après la dernière enquête du Défenseur des droits, un quart des habitants a été contrôlé au moins une fois en cinq ans. Mais derrière cette hausse globale, une constante perdure : les jeunes hommes perçus comme arabes, noirs ou maghrébins restent massivement visés. Et leur expérience avec la police est souvent marquée par la brutalité et l’humiliation.

Une augmentation massive et silencieuse

Depuis 2016, la fréquence des contrôles d’identité a bondi de 63 %. En 2024, 26 % des habitants de France métropolitaine affirment avoir été contrôlés au moins une fois au cours des cinq dernières années. Ce chiffre grimpe à 41 % chez les 18-24 ans.

Cette hausse touche désormais toutes les catégories sociales, y compris celles auparavant peu concernées. Les cadres ont vu leur taux de contrôle progresser de 81 %, les personnes âgées de 55 à 64 ans de 148 %, et même les individus perçus comme « blancs exclusivement » de 79 %.

Mais derrière cette expansion, les disparités restent criantes. Ce sont toujours les mêmes profils qui concentrent les contrôles répétés et les pratiques les plus intrusives.

Ciblés, fouillés, maltraités

« Les jeunes hommes perçus comme noirs, arabes ou maghrébins ont 4 fois plus de risque d’avoir été contrôlés que le reste de la population », alerte le rapport. Et ce n’est pas tout. Ils sont aussi 12 fois plus exposés aux contrôles dits « poussés » : fouille, palpation, injonction à quitter les lieux ou conduite au poste.

Lors de ces contrôles, les comportements dégradants sont fréquents. Près d’un tiers de ces jeunes disent avoir été tutoyés, provoqués, insultés ou brutalisés. Un chiffre deux fois plus élevé que pour les personnes perçues comme blanches. Lors des contrôles dits « poussés », dans 58 % des cas, aucun motif clair n’est fourni.

« Pour plus d’une personne contrôlée sur deux, le motif du contrôle n’est pas explicité par les forces de sécurité », rappelle le Défenseur des droits.

Des biais structurels encore trop ignorés

Certaines catégories de la population cumulent les risques. Être un homme, avoir entre 18 et 24 ans ou vivre dans un quartier prioritaire augmente fortement la probabilité d’être contrôlé.

Selon l’étude, les hommes ont deux fois plus de risques d’être visés que les femmes, et les jeunes adultes 50 % de plus que les 45-54 ans. Le simple fait d’être perçu comme noir, arabe ou maghrébin accroît ce risque de 30 %. D’autres facteurs, moins visibles, pèsent aussi : les personnes non hétérosexuelles, par exemple, subissent 50 % de comportements inappropriés en plus lors des interactions avec les forces de l’ordre.

Et lorsqu’il s’agit de porter plainte, les inégalités se confirment. Une personne sur trois a déjà tenté de déposer une plainte ou une main courante ces cinq dernières années, mais 21 % des personnes ayant tenté de déposer une plainte ou une main courante se sont heurtées à un refus.

Les motifs invoqués sont rarement clairs, et les discriminations touchent en priorité les personnes en situation de handicap, les chômeurs, les croyants ou celles issues de minorités visibles. Ce sont aussi ces profils qui déclarent le plus souvent des comportements non professionnels.

 

Une parole qui ne trouve pas d’écho

Face à ces pratiques, la majorité des victimes n’agit pas. Seuls 8 % des personnes ayant vécu un comportement abusif disent avoir tenté de faire reconnaître leurs droits. Les autres préfèrent en parler à des proches… ou se taire.

« Le faible nombre de signalements et de plaintes pour des faits de discriminations ne saurait conduire à conclure que le phénomène est exagéré ou marginal. Il peut au contraire révéler un découragement des victimes », note le rapport du Conseil d’État, cité par l’étude.

Ce manque de recours fragilise l’état de droit. L’absence de traçabilité des contrôles, pourtant réclamée depuis des années, reste une faille majeure. Sans trace écrite, impossible de contester.

Une confiance abîmée ?

Cette réalité creuse un fossé entre certains citoyens et les forces de l’ordre. Seules 5 % des personnes qui ne croient pas aux discriminations policières se disent méfiantes en présence d’un agent. Ce taux bondit à 59 % chez ceux qui ont personnellement subi un contrôle discriminatoire.

Les expériences de brutalité et d’humiliation contribuent à affaiblir le lien entre police et population. Plus les contrôles sont nombreux et injustifiés, plus la défiance grandit.

« Les contrôles d’identité jouent un rôle important dans les processus de socialisation à l’institution policière », souligne le rapport. Quand cette première interaction est négative, elle laisse des traces durables.

Le reste de la population plus contrôlé, mais pas de recul pour les plus ciblés

Une baisse des écarts ? Pas vraiment. Certes, les jeunes hommes perçus comme arabes ou noirs ne représentent plus 20 fois plus de risques d’être contrôlés comme en 2016, mais cela ne traduit pas une amélioration pour eux.

C’est plutôt le reste de la population qui est davantage contrôlé, diluant mathématiquement leur part. « Ils sont toujours 4 fois plus contrôlés que le reste de la population », insiste l’étude.

Une réponse politique toujours attendue

Le Défenseur des droits réclame depuis des années une meilleure traçabilité des contrôles d’identité, pour garantir les droits et prévenir les abus. Rien n’a vraiment changé.

Le rapport rappelle que les contrôles discriminatoires sont interdits par la loi, et que les agents ne peuvent cibler une personne en raison de ses traits physiques ou de son origine supposée. Mais sur le terrain, la pratique reste répandue.

Le document plaide aussi pour « une prise de conscience plus large et des mesures concrètes pour restaurer la confiance ».