La France referme ses portes aux étudiants étrangers, l’Europe leur tend la main !

Alors que Paris s’apprête à couper les aides au logement pour les étudiants extra-européens, Bruxelles envisage au contraire d’ouvrir grand les portes de ses universités aux jeunes du pourtour méditerranéen.

Publié : 24 octobre 2025 à 13h09 par La Rédaction

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Crédit : Vidhyarthi Darpan - Pixabay

Un budget aux dépens des étudiants étrangers ? C'est un paradoxe saisissant : dans son projet de loi de finances 2026, le gouvernement prévoit de supprimer l’aide personnalisée au logement (APL) pour les étudiants étrangers hors Union européenne qui ne bénéficient pas d’une bourse . La mesure, confirmée à l’Assemblée nationale dans le budget 2026, vise à exclure « la quasi-totalité des étudiant-e-s étranger-e-s extra-européen-ne-s » du bénéfice de l’APL . Seuls resteront éligibles les rares étudiants disposant d’une bourse sur critères sociaux – moins de 3 % des 315 000 étudiants étrangers extra-communautaires concernés, d’après la FAGE . Autrement dit, plus de 300 000 étudiants risquent de perdre entre 100 et 250 euros d’aide mensuelle pour se loger .

Le gouvernement justifie cette décision par une recherche d’« équité » et de maîtrise budgétaire. « Quand un Français va étudier aux États-Unis ou en Chine, il n’a droit à rien », a argué la porte-parole Maud Bregeon, soulignant que des efforts financiers sont demandés à tous.

Cette économie sur le dos des étudiants étrangers n’a pourtant pas été précisément chiffrée dans le budget . Des estimations évoquent quelques centaines de millions d’euros d’économie en supprimant 100 à 150 € d’APL par mois à environ 300 000 étudiants. Mais pour les organisations étudiantes, le coût humain et académique sera colossal. « Retirer les APL pour les étudiants extra-communautaires non boursiers, c’est vraiment mettre à la porte quasiment l’ensemble des étudiants étrangers de notre système universitaire », alerte Suzanne Nijdam, présidente du syndicat FAGE . Du côté de l’Union étudiante, on rappelle que ces aides au logement sont « vitales » pour un public qui paie déjà des frais d’inscription plus élevés et n’a pas accès aux bourses du CROUS .

Précarité accrue et parcours du combattant administratif

Pour de nombreux étudiants venus d’Afrique, du Proche-Orient ou d’ailleurs, l’APL est souvent le dernier filet de sécurité financière. Près de 46 % des étudiants internationaux en France perçoivent une aide de la CAF (dont l’APL) durant leur séjour. Or, ces jeunes n’ont légalement le droit de travailler qu’à mi-temps (964 heures par an) maximum, ce qui limite leurs revenus d’appoint . Dès lors, retirer 100 ou 200 € d’aide peut faire basculer un budget fragile.

Déjà avant cette réforme, une enquête de l’Observatoire de la vie étudiante révélait que 62 % des étudiants étrangers en France avaient recours à l’aide alimentaire ou en auraient eu besoin, contre 22 % des étudiants français – un écart saisissant révélateur de leur précarité.

Au-delà des finances, s’installer et étudier en France relève souvent du parcours du combattant administratif. Obtenir un visa étudiant puis le renouveler chaque année implique des démarches lourdes et incertaines, avec des retards fréquents. Par exemple, à la rentrée 2025, plus de 1 500 étudiants étrangers attendaient toujours le renouvellement de leur titre de séjour rien que dans le département de l’Essonne en Île-de-France, des mois après en avoir fait la demande – une situation qui les prive temporairement de droit de travail et d’aides sociales .

Nombre d’entre eux doivent aussi faire face à une saturations de stutios pour se loger ou trouver un job, et faire face aux frais d’inscription désormais élevés depuis la politique de différenciation mise en place en 2019 . Pour un étudiant extra-européen en master, les droits d’inscription annuels approchent les 3 770 €, contre 243 € pour un étudiant français ou européen. Sans APL et sans revenu suffisant, beaucoup redoutent de devoir renoncer à leur diplôme, voire sombrer dans le surendettement ou la situation de sans-abrisme.

L’atout des étudiants étrangers pour les universités françaises

Cette évolution restrictive de la politique française surprend d’autant plus que, sur la dernière décennie, la France affichait une ambition assumée d’attirer davantage d’étudiants étrangers. En 2019, le plan « Bienvenue en France » visait à accueillir 500 000 étudiants internationaux d’ici 2027 . Et de fait, la barre des 443 000 étudiants étrangers a été atteinte en 2024-2025, soit 15 % de l’ensemble des étudiants de l’Hexagone .

Les universités et grandes écoles françaises ont pu compter sur cet afflux pour compenser en partie la baisse des effectifs français et renforcer leur rayonnement. Marocains, Algériens et Tunisiens figurent parmi les nationalités les plus représentées sur les campus tricolores. À eux seuls, le Maroc et l’Algérie représentent près de 18 % des étudiants internationaux : environ 43 300 Marocains et 34 700 Algériens étaient inscrits en France en 2023-2024 , sans compter les milliers de Tunisiens, de Sénégalais, de Chinois ou d’Italiens.

Outre la diversité culturelle et linguistique qu’ils apportent, ces étudiants sont une manne économique et académique. Selon une étude de Campus France, leurs dépenses (logement, vie courante, frais de scolarité…) et celles de leurs familles génèrent environ 5 milliards d’euros de retombées par an dans l’économie française, soit un solde positif net d’environ 1,35 milliard d’euros si l’on déduit le coût des services publics qui leur sont consacrés . En moyenne, un étudiant étranger dépense 867 € par mois en France, dont près de la moitié pour se loger . Ils acquittent également des droits d’inscription souvent plus élevés et paient des frais de visa et de titre de séjour (près de 35 millions d’€ par an au total) . Enfin, beaucoup travaillent pendant leurs études et contribuent par leurs cotisations sociales et impôts. Les universités, de leur côté, bénéficient de ces talents venus d’ailleurs qui participent à la recherche scientifique et dynamisent les filières, notamment dans les cycles doctoraux et certains secteurs en tension.

Face à ces chiffres, de nombreux responsables universitaires redoutent qu’une diminution des étudiants étrangers fragilise financièrement les établissements d’enseignement supérieur – déjà en quête de ressources – et appauvrisse la vie académique. « Le durcissement des conditions d’accès des universitaires étrangers en France porte gravement atteinte à la francophonie », alertaient d’ailleurs des professeurs dans une tribune récente, soulignant que former la jeunesse du monde est aussi un levier d’influence pour la France . À terme, c’est le rayonnement international de l’enseignement supérieur français qui pourrait pâtir de signaux perçus comme hostiles ou dissuasifs.

Bruxelles ouvre Erasmus aux pays du pourtour méditerranéen

Ironie du calendrier, pendant que Paris resserre la vis, Bruxelles joue l’ouverture. La présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen a présenté un ambitieux « Pacte pour la Méditerranée ». Parmi les mesures phares figure l’extension du programme d’échanges universitaires Erasmus+ à de nouveaux pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient . L’UE envisage en effet d’intégrer des partenaires méditerranéens comme l’Algérie, l’Égypte, la Tunisie, la Jordanie, la Palestine, la Libye, le Liban, la Syrie, Israël ou encore le Maroc dans son programme Erasmus élargi . Objectif affiché : « connecter les jeunes » des deux rives et faciliter la mobilité des étudiants et du personnel universitaire entre l’Europe et ces pays voisins . Concrètement, cela passerait par la création d’une sorte d’« université méditerranéenne » multi-campus, par des diplômes communs tissés entre universités européennes et maghrébines, et par une augmentation des financements dédiés aux échanges académiques .

La démarche se veut aussi géopolitique. « Nous allons intensifier les partenariats de talents avec le Maroc, la Tunisie et l’Égypte, et faciliter la délivrance de visas, en particulier pour les étudiants de ces pays », a annoncé Dubravka Suica, vice-présidente de la Commission en charge de ce pacte . En offrant plus de voies légales de mobilité aux jeunes du pourtour méditerranéen, l’Union européenne espère non seulement stimuler les échanges éducatifs et économiques, mais aussi contribuer à endiguer l’émigration clandestine en donnant des perspectives aux talents dans un cadre sécurisé . Ce discours tranche avec la politique française actuelle : d’un côté on ouvre des opportunités d’études aux étudiants du Sud, de l’autre on risque de fermer la porte à nombre d’entre eux en France faute de soutien financier.

Quelle attractivité pour la France demain ?

Cette discordance entre Paris et Bruxelles soulève une question de fond : la France risque-t-elle de perdre son attrait pour les étudiants internationaux au profit d’autres destinations ? Plusieurs pays, y compris au sein de l’UE, pourraient tirer parti de la situation. L’Allemagne, les Pays-Bas ou les pays nordiques proposent déjà des cursus anglophones et un coût de vie parfois comparable, avec des politiques d’accueil perçues comme plus stables. Hors d’Europe, le Canada – en particulier la francophone province du Québec – attire de plus en plus d’étudiants du Maghreb grâce à des possibilités de séjour post-études et de travail. Si la France complique l’accès au logement et à la régularité administrative, une partie des quelque 230 000 étudiants originaires d’Afrique et du Moyen-Orient inscrits aujourd’hui en France pourraient se tourner vers ces alternatives, au grand dam des universités françaises.

En outre, nombre d’étudiants maghrébins choisissent la France pour des raisons historiques et linguistiques – la francophonie, les liens culturels et parfois familiaux. Un désengagement de l’Hexagone envers ces publics serait perçu comme un signal négatif dans ces pays partenaires. « La mobilité étudiante est un élément clé des relations entre nos sociétés », souligne un responsable d’université, qui craint un gâchis de potentiel si la France devient moins accessible. À l’inverse, l’initiative européenne Erasmus Méditerranée offre une lueur d’espoir : en facilitant les allers-retours académiques, elle pourrait renforcer les échanges scientifiques et humains entre Europe et Maghreb, y compris avec la France si celle-ci s’y associe pleinement.

Pour l’heure, le sort des APL pour étudiants étrangers en France dépendra du vote définitif du budget. Associations étudiantes, organisations de défense des droits et élus d’opposition appellent d’ores et déjà à revenir sur cette mesure jugée discriminatoire, qui instaure selon eux une préférence nationale dans l’accès aux aides publiques .