Abdelkader Mesli : l’imam de la Grande Mosquée de Paris qui a sauvé des Juifs pendant la Shoah !
Imam de la Grande Mosquée de Paris pendant la Seconde Guerre mondiale, Abdelkader Mesli a risqué sa vie pour sauver des centaines de juifs. En délivrant de faux certificats de confession musulmane et en organisant des évasions, il a soustrait de nombreuses familles aux persécutions nazies. Arrêté puis déporté, ce héros modeste a survécu à l’enfer des camps. Son courage exemplaire, longtemps oublié, ne sera redécouvert que plusieurs décennies plus tard.
Publié : 10h35 par La Rédaction
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La capitale vit sous la botte des nazis et la traque des familles juives s’intensifie. Derrière les hauts murs de la Grande Mosquée de Paris, un homme s’active en secret pour en soustraire autant que possible aux rafles et à la mort. Cet homme, c’est Abdelkader Mesli, l’imam de la mosquée.
Longtemps restée méconnue, l’histoire de cet imam algérien est pourtant l’une des plus belles pages de solidarité de la Seconde Guerre mondiale. Par son courage et son humanisme, Abdelkader Mesli a incarné ce qu’il y a de meilleur en l’Homme face à la barbarie. Aux côtés d’autres résistants de l’ombre, il a sauvé des centaines de vies en défiant l’occupant nazi. Son parcours – du jeune docker algérien à l’homme de foi prêt à tous les sacrifices – mérite d’être salué à sa juste valeur.
De l’Algérie à la Grande Mosquée de Paris
Né en 1902 en Algérie, Abdelkader Mesli quitte très tôt sa terre natale pour la métropole. À 17 ans, il débarque à Marseille et vit de petits métiers – docker, charpentier, ouvrier des mines – avant de « monter » à Paris. Là-bas, au début des années 1930, il est nommé imam de la toute nouvelle Grande Mosquée de Paris, un rôle qu’il assume bénévolement. Imprégné de spiritualité soufie, il est un homme de foi humble et dévoué, proche de la communauté musulmane parisienne. La mosquée, inaugurée en 1926 en hommage aux soldats musulmans de la Grande Guerre, devient pour lui plus qu’un lieu de prière : un havre de paix où il prêche la tolérance et porte assistance aux plus démunis. Lorsque la Seconde Guerre mondiale éclate en 1939, l’imam est déjà respecté pour sa sagesse et son dévouement.
Sauver des vies sous l’Occupation
En juin 1940, Paris tombe aux mains des nazis. Très vite, les persécutions contre les juifs s’intensifient en France occupée. Abdelkader Mesli, avec le soutien du recteur de la mosquée, Si Kaddour Ben Ghabrit, décide alors d’agir. Sous couvert d’aider ses coreligionnaires, il fabrique de faux certificats de confession musulmane pour des familles juives menacées. Munis de ces papiers d’identité falsifiés attestant d’une foi musulmane, des hommes, des femmes et des enfants échappent aux rafles et se voient offrir une chance de survie. La Grande Mosquée de Paris devient un refuge discret pour ces persécutés, où l’on fournit également vivres et tickets de rationnement.
Selon les historiens, les efforts conjugués de Mesli et de Ben Ghabrit auraient ainsi permis de sauver entre 500 et 1 600 personnes – en majorité des juifs, dont de nombreuses familles séfarades de Paris – qui, sans cela, auraient été vouées à la déportation. Une lettre du gouvernement de Vichy, datée de 1940, témoigne d’ailleurs des soupçons qui pèsent alors sur la mosquée, déjà accusée de délivrer ces faux certificats. Dans l’ombre, l’imam Mesli se sait surveillé et redouble de prudence. « Je prends bonne note de vos recommandations... J’ai toujours agi avec la plus grande prudence », écrit-il ainsi à son recteur, preuve de sa lucidité face au danger.
Une dette de vie entre Philippe Bouvard et Abdelkader Mesli
Parmi les nombreux destins préservés par cette chaîne de solidarité, figure celui de la famille de l'animateur Philippe Bouvard. Lors de la sortie du film Les Hommes Libres en 2011, qui retrace ce pan méconnu de l'Histoire, l'homme de média a publiquement levé le voile sur ce secret de famille. Il a révélé que son père adoptif , Jules Luzzato, un juif d'origine italienne, avait eu la vie sauve grâce à l'intervention héroïque d'Abdelkader Mesli et du recteur Ben Ghabrit. En lui fournissant de faux documents attestant de sa confession musulmane, l'imam a permis à cet homme d'échapper à une arrestation certaine, illustrant par cet acte concret la portée universelle de son engagement.
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Résistance et déportation
La vigilance de Mesli finit pourtant par attirer l’attention. En 1942, alors que les soupçons allemands grandissent, Si Kaddour Ben Ghabrit le mute discrètement à Bordeaux en le nommant aumônier musulman du camp d’internement du Fort du Hâ. Là-bas, loin de se tenir à l’écart, l’imam étend encore son action humanitaire. Dès février 1943, il entre officiellement dans la Résistance en rejoignant l’Organisation de Résistance de l’Armée (ORA). Sous couvert de son titre d’aumônier, il poursuit la fabrication de faux papiers et organise l’évasion de prisonniers de guerre nord-africains détenus par les nazis. Mesli joue un jeu dangereux : d’un côté il négocie avec la Kommandantur pour accomplir sa mission religieuse, de l’autre il aide activement des personnes. « Il en fallait du courage ! » reconnaîtra plus tard son fils Mohamed en évoquant les risques incroyables que prenait alors son père.
Le 5 juillet 1944, son réseau s’effondre. Dénoncé par un informateur, Abdelkader Mesli est arrêté en plein centre de Bordeaux par la Gestapo, en même temps qu’un de ses compagnons de résistance. Son domicile est fouillé de fond en comble par la police française : les agents y confisquent des piles de faux papiers et de documents compromettants. Les Allemands l’accusent d’avoir organisé « la réception et l’hébergement d’indigènes nord-africains évadés des camps » ainsi que d’avoir fabriqué de « faux papiers ». Pour ces faits assimilés à de la trahison, Mesli est déporté en Allemagne.
Il passe par le camp de concentration de Dachau, puis par celui de Mauthausen-Ebensee. Il y reçoit le matricule 94020. Dans l’enfer de ces camps, l’imam subit les pires sévices. Torturé lors d’interrogatoires, il ne trahit aucun de ses camarades ni aucune des familles qu’il a aidées. Épuisé mais vivant, Abdelkader Mesli est libéré par les Alliés le 24 mai 1945. Il ne pèse plus que 30 kg à sa sortie, brisé physiquement par les mauvais traitements. « Mon père disait qu’il avait eu tous les os cassés dans les camps, qu’il était rentré très malade », témoignera plus tard son fils Mohamed. Après cette épreuve inimaginable, il lui faudra de longs mois pour recouvrer la santé.
Un héros modeste tombé dans l’oubli
De retour en France, Abdelkader Mesli tente de reprendre une vie normale, loin des projecteurs. Il s’installe en région parisienne et redevient imam, officiant cette fois à la mosquée de Bobigny en banlieue, tout en veillant sur le cimetière musulman local. Au début des années 1950, il se marie et fonde une famille. Pourtant, jamais il ne racontera ses exploits de guerre. Même ses proches n’entendent de sa bouche que de rares allusions à cette période. Héros discret par excellence, Mesli tait jusqu’aux distinctions honorifiques qui lui sont décernées après-guerre pour ses actes de bravoure. Officier de l’ordre marocain du Ouissam Alaouite, médaillé de la Résistance et de la Déportation, il n’évoque jamais ces récompenses. Ses médailles resteront cachées au fond d’un tiroir. Le 21 juin 1961, Abdelkader Mesli s’éteint à l’âge de 59 ans, sans avoir reçu la reconnaissance publique qu’il aurait méritée.
La mémoire retrouvée
Il faut attendre un demi-siècle pour que l’histoire d’Abdelkader Mesli refasse surface. En 2010, son fils Mohamed découvre par hasard les archives de son père entassées dans un vieux secrétaire. « C’est ma femme qui est tombée dessus en rangeant la maison de mes parents. Elle a trouvé des centaines de documents cachés », confie Mohamed Mesli, stupéfait par l’ampleur des révélations. Jusqu’alors, la famille ne connaissait de ce passé héroïque que de vagues bribes. « On savait que mon père avait été imam à la mosquée de Paris pendant la guerre et qu’il avait été déporté, mais c’est à peu près tout », admet-il.
Ce trésor d’archives permet enfin à la mémoire du sauveur de juifs de revivre. Mohamed Mesli entreprend de faire connaître l’histoire de son père – non pas pour en tirer une gloire personnelle, insiste-t-il, mais pour délivrer un message de tolérance. « Je ne témoigne pas pour rendre hommage à mon père ou me mettre en avant, mais pour montrer que juifs et musulmans sont capables de vivre ensemble, puisqu’ils l’ont déjà fait », explique-t-il dans les médias. Depuis quelques années, il intervient régulièrement dans des écoles, aux côtés de l’association Les Bâtisseuses de Paix, afin de raconter comment des hommes comme Abdelkader Mesli ont su lutter, au-delà des appartenances religieuses, contre l’ignorance – ce que son père appelait « le pire ennemi de l’Homme ».
Après des décennies de silence, les institutions commencent enfin à reconnaître le rôle majeur joué par Abdelkader Mesli. En mars 2020, le Conseil de Paris a voté à l’unanimité pour donner son nom à une rue de la capitale. L’année suivante, en octobre 2021, le parvis situé devant la Grande Mosquée de Paris a été baptisé en son honneur. Et en octobre 2022, le président de la République Emmanuel Macron lui a également rendu un vibrant hommage lors d’une cérémonie officielle, saluant la mémoire d’un héros de la Résistance trop longtemps oublié. La Grande Mosquée elle-même honore désormais celui qui fut l’un de ses plus valeureux dignitaires. « Mes illustres prédécesseurs ont gravé dans la mémoire nationale une certaine idée de l’humanisme. Le premier recteur de la Grande Mosquée de Paris, Si Kaddour Ben Ghabrit, aux côtés de l’imam Abdelkader Mesli, ont contribué à sauver des Juifs de la barbarie nazie », a rappelé récemment Chems-Eddine Hafiz, l’actuel recteur de la mosquée.
Ainsi, plus de soixante ans après sa disparition, Abdelkader Mesli trouve enfin sa place dans la mémoire nationale. Son destin rappelle avec force que face à la barbarie, le courage, l’humanité et la fraternité peuvent l’emporter.
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