Zyed et Bouna, vingt ans après : le souvenir d’une tragédie !

Le drame de Clichy-sous-Bois, le 27 octobre 2005, a marqué les esprits. Deux adolescents – Zyed Benna (17 ans) et Bouna Traoré (15 ans) – sont morts électrocutés en fuyant une course-poursuite avec la police. Cette mort brutale a déclenché trois semaines d’émeutes inouïes dans les banlieues. Deux décennies plus tard, leur mémoire est entretenue par des hommages et la quête de justice, et continue d’interroger la République.

Publié : 27 octobre 2025 à 13h33 par La Rédaction

Zyed et  Bouna
Crédit : D.R

Le drame de Clichy-sous-Bois ! Le jeudi 27 octobre 2005, Zyed et Bouna rentraient d’un match de football avec deux amis lorsqu’une alerte a été donnée à la police pour tentative de cambriolage sur un chantier voisin . Quelques minutes plus tard, deux équipes de la BAC (Brigade anticriminalité) prennent en chasse les adolescents. Pour leur échapper, Zyed, Bouna et Muhittin Altun se réfugient dans un transformateur électrique EDF. Un arc mortel se forme : Zyed et Bouna meurent électrocutés, le troisième est grièvement blessé .

Les deux morts font immédiatement l’effet d’une bombe. Dès le soir même, les premières émeutes éclatent à Clichy-sous-Bois et Montfermeil. Le lendemain, les pompiers comptent déjà plus de vingt carcasses de voitures calcinées dans ces deux villes.

Les émeutes : trois semaines de feu

La mort de Zyed et Bouna devient l’étincelle d’une colère des banlieues longtemps couvée. Chaque nuit, durant trois semaines consécutives, des jeunes de toute la France sortent dans les rues et saccagent des quartiers entiers . « Dès lors, chaque nuit durant trois semaines, des jeunes se réunissent dans la rue et saccagent véhicules, bâtiments et mobilier urbain » relate Le Monde . Des centaines de voitures sont incendiées, des stations de bus et des équipements publics sont détruits, sous l’œil des chaînes d’information relayant ces images de chaos urbain. Au total, les émeutes font plus de 1500 véhicules brûlés en une nuit et des dégâts considérables dans 274 communes.

La réponse politique est immédiate et sévère. Le ministre de l’Intérieur Nicolas Sarkozy assure dès le 28 octobre que « la police ne poursuivait pas physiquement » Zyed et Bouna – version aussitôt contredite par le survivant et qui renforce le sentiment d’injustice. La veille, Nicolas Sarkozy déclare aux habitants excédés : « Vous en avez marre de cette bande de racailles ? Eh bien on va vous en débarrasser ! » . Son patron, le Premier ministre Dominique de Villepin, décrète l’état d’urgence le 8 novembre 2005 : « la priorité, c’est le rétablissement de l’ordre public », affirme-t-il . Couvrant Feu et couvre-feu sont instaurés, des milliers de policiers en tenue anti-émeutes sont mobilisés – une « thérapie de choc », selon Villepin , qui porte ses fruits : les violences diminuent progressivement et la nuit du 17-18 novembre est la dernière de l’« hiver des banlieues » .

Le bilan est lourd : trois personnes meurent, et l’on dénombre plus de 10 000 véhicules calcinés, 6 056 interpellations et 224 policiers blessés . Surtout, la crise marque durablement les esprits : Jacques Chirac, en visite à l’Élysée, qualifiera de « crise de sens » le désarroi des jeunes de banlieue, les assurant qu’ils sont « les fils et les filles de la République » . En coulisses, le président annonce même la création d’un service civil pour tenter de renouer le lien social (venu à terme en 2010 sous Nicolas Sarkozy). Des associations se créent, comme le Bondy Blog fin 2005, pour donner la parole aux jeunes des quartiers populaires . Mais pour beaucoup, l’urgence reste de rendre justice aux familles de Zyed et Bouna.

Procès et indignation

Le parcours judiciaire sera long et amer. Le 8 février 2007, deux policiers avaient été mis en examen pour « non-assistance à personne en danger » après la mort tragique de Zyed Benna et Bouna Traoré, électrocutés. Après des années d’enquête, le procès s’ouvre finalement le 16 mars 2015 devant le tribunal correctionnel. Les agents sont jugés pour « non-assistance à personne en danger » et « mise en danger délibérée de la vie d’autrui », des faits passibles de cinq ans de prison et de 75 000 euros d’amende.

Durant l’audience, les avocats des familles, Emmanuel Tordjman et Jean-Pierre Mignard, appellent à une décision à la fois juste et symbolique, espérant que la justice reconnaîtra la responsabilité morale des policiers. Mais le 18 mai 2015, la sentence tombe : relaxe générale. Le tribunal estime qu’aucun des deux agents n’avait « une conscience claire d’un péril grave et imminent », malgré une phrase restée tristement célèbre dans les enregistrements radio : « S’ils entrent ici, je ne donne pas cher de leur peau. »

Ce verdict, confirmé par la cour d’appel de Rennes le 24 juin 2016, referme le dossier sur le plan judiciaire, mais pas dans les cœurs.

Villepin : « le drame d’une jeunesse qui demandait à être reconnue »

Deux décennies plus tard, le Premier ministre de l’époque, Dominique de Villepin, revient sur ce drame dans un long communiqué de sept pages.  « Voilà vingt ans que j’essaie de comprendre ce qui génère de telles fractures et conduit à de tels drames, confesse Dominique de Villepin. Et je me rends compte, avec une grande inquiétude, que nous persévérons toujours dans le déni et l’abandon. » Il rappelle qu’il était à Matignon depuis cinq mois « lorsque deux enfants de France sont morts, victimes de la ségrégation et de l’abandon de la République ».

«  Depuis ce jour, j’ai acquis la conviction que l’équilibre de la Nation ne peut naître que de la vérité, parce qu’elle seule garantit la justice », poursuit l’ancien Premier ministre, jugeant « essentiel de restaurer la confiance dans la parole publique». « La vérité n’est pas un risque politique : elle est la condition même de l’exercice démocratique », affirme-t-il. Il reconnaît qu’« en reprenant trop rapidement, soucieux de l’unité gouvernementale, des informations erronées venues du ministère de l’Intérieur, nous avons contribué à affaiblir la confiance dans la parole publique. »

Et il pointe également, dans une allusion à Nicolas Sarkozy, « certains propos publics – le Kärcher, les ‘racailles’ – qui ont pu blesser, attisant le ressentiment, comme si la République réduisait une partie de ses enfants à un problème à résoudre».

Appelant à « tirer les leçons de ces drames», il souligne que « les émeutes de 2005 ont révélé une France à deux vitesses : d’un côté, des territoires où la République continue de s’incarner ; de l’autre, des zones où elle n’est plus qu’un mot, un concept, une idée abstraite, et trop souvent, une contrainte ».

« Vingt ans après, les mêmes fractures demeurent. Ce n’est pas le manque de moyens qui fait défaut, mais la vision d’ensemble, la constance et la cohérence», poursuit-il, évoquant les Gilets jaunes en 2018 et les émeutes de 2023 après la mort de Nahel. «  Si les mêmes causes produisent les mêmes effets, c’est que la République n’a pas su réparer son contrat politique et social », estime-t-il.

Pour Dominique de Villepin, « le drame de Zyed et Bouna, c’est le drame d’une jeunesse française qui ne demandait qu’à être reconnue et respectée comme telle ».

Le souvenir et les commémorations

Dans Clichy-sous-Bois, le souvenir de Zyed et Bouna est gravé dans la pierre. Une stèle a été érigée face au collège Robert-Doisneau, où les deux adolescents étaient scolarisés. On peut y lire leur nom et cette épitaphe poignante : « À la mémoire de Bouna Traoré et Zyed Benna. Deux enfants ont quitté la Terre, mais deux anges sont entrés au paradis. 27 octobre 2005 » . Des gerbes de fleurs tricolores ornent en permanence ce monument, signe du deuil collectif toujours vif. L’allée piétonne menant au collège porte d’ailleurs leurs noms, comme pour que chaque élève n’oublie jamais ces camarades disparus.