Un colloque supprimé et une liberté académique fragilisée !
La déprogrammation du colloque « Palestine et Europe » au Collège de France a provoqué une vive secousse dans le milieu universitaire. Entre pressions, échanges internes et tensions politiques, l’affaire soulève de lourdes questions sur la liberté académique. Plusieurs éléments révélés par le média d’investigation Blast apportent un éclairage déterminant sur les coulisses de cette décision.
Publié : 14 novembre 2025 à 18h13 par La Rédaction
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Un choc pour le Collège de France ! La décision tombe quelques jours avant l’ouverture prévue de l’événement, coorganisé par l’historien Henry Laurens et le Centre arabe de recherches et d’études politiques de Paris (Carep). Le colloque réunissait également des personnalités reconnues comme Salam Kawakibi, ce qui souligne encore davantage le sérieux scientifique de l’événement
L’administrateur du Collège de France, Thomas Römer, évoque officiellement un impératif de « sérénité des débats » et de « respect de l’intégrité scientifique ». Mais les coulisses racontent une tout autre histoire.
Des échanges entre membres du Réseau de recherche sur le racisme et l’antisémitisme (RRA), consultés par la rédaction, montrent un activisme assumé. Ce réseau, créé en 2019, est dirigé depuis l’université de Picardie et rassemble des unités de recherche liées à des universités, au CNRS ainsi qu’à diverses institutions publiques et privées.
Dans un mail, l’avocate Déborah Journo se félicite ouvertement du résultat : « Nous avons adressé un courrier à l’administrateur du Collège de France, plus copie au ministre de l’Enseignement, hier par e-mail. J’imagine que notre courrier et toutes les autres initiatives ont permis cette annulation. Bravo à tous. »
Une mobilisation coordonnée
L’affaire prend de l’ampleur après la publication, le 7 novembre, d’un article du Point qualifiant le colloque de « colloque propalestinien à haut risque ». L’emballement médiatique ouvre la voie à une campagne coordonnée au sein du RRA, où plusieurs chercheurs assimilent l’événement à une forme de complaisance envers des discours « antijuifs ».
Certains membres du réseau vont jusqu’à rebaptiser l’institution : le politologue Pierre-André Taguieff affirme que le Collège de France serait en passe de devenir « le Collège de la France antijuive ». Dès le lendemain, Déborah Journo informe le réseau qu’elle alerte le ministère de l’Enseignement supérieur. Deux jours plus tard, le colloque est déprogrammé.
L’avocate ne cache pas son rôle. Très active, elle a récemment fondé l’association Actions Avocats, engagée dans des procédures liées au racisme, à l’antisémitisme et au terrorisme. Elle est également signataire d’un texte controversé : « Non, il n’y a pas de génocide à Gaza ».
Une liberté académique remise en cause
Pour Henry Laurens, la décision met directement en cause le droit des chercheurs à travailler librement. L’historien s’interroge désormais sur la tenue d’un autre colloque consacré à Gaza prévu en décembre : « Il y a déjà un colloque qui est prévu sur Gaza avec mon collègue Didier Fassin. Au mois de décembre, on verra pour ce colloque-là. »
Les messages internes montrent une atmosphère lourde. Certains universitaires du RRA s’attaquent personnellement aux chercheurs impliqués dans les études sur la Palestine, allant jusqu’à qualifier des professeurs reconnus de « militants ». Paul Audi écrit notamment : « Ce professeur n’est pas autre chose qu’un militant. » Des chercheurs sont ciblés en raison de leurs positions académiques ou de leur origine, comme la chercheuse du CNRS Stéphanie Latte Abdallah, décrite dans un mail comme « clairement militante » parce que d’origine palestinienne.
Dans un autre échange, le directeur de Sciences Po Strasbourg, Emmanuel Droit, demande explicitement : « Que savez-vous à propos de Stéphanie Latte-Abdallah ? [...] Si jamais vous avez des infos sur cette chercheuse du CNRS me permettant d'alerter la présidence de l'Unistra, je vous en serai reconnaissant. ».
Parallèlement, un historien propose de constituer, avec l’aide du RRA, des fiches détaillées sur les intervenants du colloque annulé, présenté comme un travail de « salubrité publique ». Des témoins cités dans l’enquête décrivent des universitaires disposant de « beaucoup de pouvoir » et de nombreux moyens « d’intimider les autres », au point que « beaucoup de gens se taisent par peur ».
Une autre source explique que toute prise de position sur la reconnaissance du génocide devient difficilement audible, derrière un affichage de valeurs républicaines et de laïcité. D’autres messages suggèrent de constituer des fiches sur les intervenants, afin de recenser leurs prises de position.
Des liens politiques qui interrogent
Les correspondances internes montrent aussi une proximité assumée avec certains membres du gouvernement. Une chercheuse du réseau affirme ainsi : « Les ministres Aurore Bergé et Philippe Baptiste (…) ont demandé à l’administrateur du Collège de France d’annuler ce colloque ».
Ces messages laissent planer la question d’une intervention politique dans une décision qui aurait dû rester strictement académique. Face à l’agitation, quelques membres du RRA tentent de prendre leurs distances, tout en assumant avoir exprimé leur opposition au colloque présenté comme un « meeting ».
Un colloque sauvé… ailleurs
Face à l’interdiction, le CAREP décide de maintenir l’événement dans ses propres locaux, malgré un espace minuscule et une forte affluence. Les organisateurs parlent d’un choix contraint, mais nécessaire pour préserver le débat scientifique.
La salle, prévue pour une quarantaine de places, se remplit rapidement. Des vigiles encadrent l’accès. Les intervenants s’enchaînent. L’une des chercheuses résume l’état d’esprit du jour : « C’était ça où rien du tout ! ».
Dans son communiqué, le CAREP rappelle que « le savoir académique ne se limite pas à un lieu » et doit rester accessible, même en période de tensions.
Une réaction nationale et internationale
L’annulation provoque un tollé dans le milieu universitaire. Plus de 300 chercheurs, parmi lesquels Judith Butler, Jean-François Bayart ou Bertrand Badie, signent une tribune dénonçant « une atteinte sans précédent à la liberté académique en France ». Ils alertent contre une « ère de censure institutionnelle » qui pourrait réduire au silence des pans entiers de la recherche.
La Ligue des droits de l’Homme (LDH) s’inquiète également, rappelant que les chercheurs doivent pouvoir travailler « indépendamment de toutes pressions ». De son côté, la direction du RRA nie toute implication formelle et refuse de commenter les échanges internes révélés.
Au-delà d’un colloque, une bataille pour la liberté universitaire ?
L’affaire dépasse de loin le cadre d’un simple événement scientifique. Elle met en lumière des réseaux d’influence capables de peser sur les institutions les plus prestigieuses, d’exercer des pressions directes et d’alimenter un climat de peur dans le milieu académique.
Elle souligne aussi une tendance inquiétante : la difficulté croissante de traiter, dans un cadre scientifique, des sujets liés à la Palestine lorsqu’ils ne correspondent pas aux attentes de certains groupes de pression.
En dépit des obstacles, le colloque a finalement eu lieu. Mais l’épisode laisse une question ouverte : la liberté académique peut-elle encore s’exercer sereinement lorsque des mouvements coordonnés entendent dicter les limites du débat ?
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