Retraites : l’équilibre du système peut-il se passer des travailleurs immigrés ?

Les travailleurs immigrés financent aujourd’hui plus de 10 % des retraites en France. Leur absence pousserait l’âge légal au-delà de 64 ans ou ferait baisser les pensions.

Publié : 8 août 2025 à 12h18 par La Rédaction

Cotisation des retraites
Crédit : Alexas_Fotos - Pixabay

« Sans les cotisations des travailleurs étrangers, à quel âge légal devrait-on partir à la retraite pour équilibrer le système ? […] 66, 67, 68 ans » affirmait récemment Benoît Hamon sur le plateau de RTL, pointant un impensé du débat sur les retraites. Alors que certains responsables, notamment à l’extrême droite, prônent une réduction drastique de l’immigration, cette déclaration met en lumière une réalité économique souvent oubliée : les travailleurs immigrés contribuent significativement au financement des retraites en France. Dès lors, bloquer l’immigration pourrait avoir pour conséquence directe soit de repousser l’âge de départ bien au-delà de 64 ans, soit de réduire le niveau des pensions versées aux retraités. Pourquoi et comment en arrive-t-on à de telles projections ? Éléments d’analyse chiffrés et contextualisés.

Le poids des cotisations des travailleurs immigrés dans le système de retraite

Le modèle de retraite de France par répartition repose sur un principe simple : les actifs cotisent pour payer les pensions des retraités. Dans ce cadre, les travailleurs immigrés occupent une place non négligeable parmi les cotisants. En 2017, on comptait environ 2,7 millions de travailleurs immigrés en France, soit un emploi sur dix (10,2 %). Autrement dit, plus de 10 % des cotisations retraite proviennent de salariés nés à l’étranger. Ce chiffre s’explique notamment par la structure d’âge de la population immigrée, souvent en âge de travailler, alors que la part des seniors augmente chez les natifs. Cet apport financier est bien documenté. Selon l’OCDE, dans la plupart des pays développés les immigrés contribuent au budget public autant voire plus qu’ils ne coûtent en dépenses sociales. En France en particulier, la contribution fiscale nette des personnes nées à l’étranger est légèrement positive, à +1,02 % du PIB sur la période 2006-2018. Les immigrés, globalement plus jeunes, cotisent beaucoup tant qu’ils sont en activité, et utilisent relativement moins les prestations vieillesse que le reste de la population. En effet, ils n’ont pas bénéficié de leur éducation en France et, au moment de la retraite, une partie d’entre eux ne fait pas valoir ses droits ou quitte le territoire sans percevoir de pension, allégeant d’autant les charges pour le système français

Par ailleurs, à droits égaux, un étranger ne touche pas davantage qu’un Français : aucune pension de retraite n’est versée sans cotisation préalable, hormis le minimum vieillesse (ASPA) qui demeure très modeste (autour de 900 € mensuels maximum) et qui s’applique de la même manière aux personnes françaises et étrangères les plus démunies

En somme, les cotisations des travailleurs immigrés soutiennent bel et bien nos régimes de retraites. Lionel Ragot, économiste spécialiste du sujet, rappelle que si l’on insiste souvent sur le coût individuel des étrangers (davantage au chômage ou allocataires en moyenne), on oublie que leur structure d’âge active compense ce coût en apportant des cotisations essentielles. L’immigration contribue ainsi à élargir l’assiette de cotisations et à limiter le déséquilibre financier dû au vieillissement de la population.

Que se passerait-il en l’absence de ces cotisants ? Vers un départ à la retraite à 67 ans ou plus ?

La question mérite d’être posée clairement : notre système de retraite pourrait-il s’équilibrer sans l’apport des travailleurs immigrés ? Les projections démographiques et financières indiquent que la réponse est délicate. Si la France cessait d’accueillir des actifs étrangers, elle verrait mécaniquement diminuer son nombre de cotisants à court et moyen terme. Or, le pays fait déjà face à un défi de taille avec le papy-boom : environ 720 000 départs à la retraite par an, et un ratio actifs/retraités en dégradation progressive (autour de 1,7 cotisant par retraité aujourd’hui, contre plus de 4 dans les années 1960). Les scénarios du Conseil d’orientation des retraites (COR) illustrent l’impact des flux migratoires sur la santé du régime. Dans son rapport de juin 2024, le COR indique que si le solde migratoire net était réduit à +20 000 personnes par an (au lieu de ~+70 000 actuellement), la part des dépenses de retraite dans le PIB augmenterait de 0,6 point supplémentaire d’ici 2070. 

En clair, avec moins d’actifs entrants, le déficit se creuserait d’autant, exigeant des mesures compensatoires. À l’inverse, un apport migratoire plus élevé améliorerait le ratio et soulagerait les finances du système. Repousser l’âge de la retraite devient alors l’une des variables d’ajustement. Le gouvernement ne s’y est pas trompé en faisant voter en 2023 le report de l’âge légal de 62 à 64 ans, afin de résorber une partie du déficit attendu et de tenir compte de l’allongement de la vie. Cette réforme, très contestée, doit générer environ +13 à +17 milliards d’économies par an à l’horizon 2030 (soit une amélioration d’environ +0,4 point de PIB du solde des retraites). On comprend dès lors qu’en l’absence des cotisations des immigrés, l’équilibre financier exigerait un effort supplémentaire du même ordre de grandeur. Benoît Hamon estime ainsi qu’il faudrait reculer l’âge légal aux alentours de 66-68 ans pour compenser le manque à gagner.

Ce chiffre, même s’il est symbolique, illustre l’ampleur de la contribution des travailleurs étrangers : sans eux, les actifs français auraient à travailler plusieurs années de plus, ou à accepter des pensions plus faibles, pour maintenir le système à flot. Du reste, la baisse des pensions est l’autre risque évoqué. Faute de cotisants suffisants, les caisses de retraite devraient diminuer le niveau des prestations ou durcir les conditions (trimestres requis, décotes). Autrement dit, bloquer l’immigration reviendrait presque immanquablement à appauvrir les retraités ou à retarder l’âge de départ. C’est exactement le constat passé sous silence par ceux qui vantent une fermeture des frontières : « La conséquence immédiate d’une politique qui bloque l’immigration, ce sera la baisse des pensions des retraités » avertit Benoît Hamon, déplorant que ce discours de vérité ne soit pas tenu par les élus anti-immigration. 

Des travailleurs immigrés qui cotisent beaucoup... et perçoivent moins à la retraite

De nombreux immigrés occupent en France des emplois pénibles (bâtiment, nettoyage, textile, restauration…), contribuant ainsi à l’économie et au financement des retraites, souvent sans en bénéficier pleinement une fois à la retraite. Il existe une certaine injustice silencieuse à l’égard des travailleurs immigrés : ils participent largement au financement de notre protection sociale, tout en étant souvent les moins avantagés par le système une fois l’heure de la retraite venue. La raison principale tient à la nature de leurs emplois et de leurs carrières. Les immigrés sont surreprésentés dans les métiers les plus pénibles physiquement, avec des horaires atypiques et des conditions éprouvantes.

On les retrouve en proportion importante parmi les ouvriers du bâtiment, les agents d’entretien, les éboueurs, les employés de cuisine, les aides à domicile, etc. Ces professions, indispensables au fonctionnement du pays, sont aussi celles qui entraînent souvent une usure prématurée de la santé. Conséquence : les travailleurs immigrés partent en retraite plus tôt en moyenne (du fait de carrières incomplètes ou d’incapacités), et leur espérance de vie à la retraite est plus courte. Ce n’est pas une vue de l’esprit, mais un fait statistique lié à la pénibilité. Par exemple, en France un ouvrier de 35 ans vivra en moyenne 6 ans de moins qu’un cadre du même âge. Or, une grande partie des immigrés sont ouvriers ou employés non qualifiés. De plus, beaucoup d’entre eux n’ont pas pu cumuler une carrière complète dans l’Hexagone – certains ayant commencé à travailler tard, ou ayant connu des périodes de chômage plus fréquentes. 

D’après les données de la DREES, les pensionnés nés à l’étranger ont validé en moyenne cinq trimestres de moins que ceux nés en France (pour ceux résidant en France), et jusqu’à quarante trimestres en moins pour ceux repartis vivre à l’étranger. Ils touchent de ce fait des pensions inférieures de 13 % en moyenne par rapport aux retraités nés et restés en France. En clair, les immigrés cotisent davantage qu’ils ne profiteront eux-mêmes de la retraite. Nombre d’ouvriers immigrés, après une vie de labeur, vont percevoir de petites pensions pendant moins longtemps que d’autres catégories de population. Parfois même, ils ne font valoir aucun droit en France s’ils choisissent de retourner dans leur pays d’origine pour leurs vieux jours. Ces faits battent en brèche la rhétorique du « profiteur » : bien au contraire, les chiffres montrent que l’immigration contribue à solidifier les caisses de retraite, tout en étant peu rémunératrice pour les principaux intéressés.

Une réalité économique à reconnaître dans le débat politique 

Le lien entre immigration et retraites demeure un sujet sensible, souvent éclipsé par des considérations identitaires ou sécuritaires dans le débat public. Pourtant, les données économiques sont claires : la France, pays vieillissant, a besoin d’élargir sa base de cotisants si elle veut maintenir le niveau de vie de ses seniors sans reculer toujours plus l’âge de départ. L’immigration de travail fait partie des solutions, au même titre que l’augmentation du taux d’emploi des seniors ou la natalité. D’autres nations l’ont bien compris : le Canada, par exemple, accueille chaque année des dizaines de milliers de travailleurs pour compenser le départ à la retraite de 5 millions d’actifs d’ici 2030.

De même, l’Allemagne a assoupli ses lois pour faire venir davantage de main-d’œuvre étrangère qualifiée, après avoir déjà intégré plus d’un million de réfugiés syriens durant la décennie 2010

La France, elle, affiche des flux migratoires plus modestes que ces voisins (en 2021, des entrées annuelles équivalant à 0,4 % de sa population, contre 0,6 % en Allemagne) et n’attire pas suffisamment d’immigrés qualifiés selon le Conseil d’analyse économique

Autant de facteurs qui limitent pour l’instant l’impact positif potentiel de l’immigration sur notre système de retraite. Au-delà des comparaisons internationales, il importe surtout de dépasser les postures politiciennes pour regarder la réalité en face. Oui, accueillir de jeunes travailleurs venus de l’étranger soulage nos comptes sociaux – sans pour autant être une panacée universelle. Non, l’immigration ne « paiera » pas à elle seule nos retraites, mais s’en priver brutalement aggraverait mécaniquement le problème. Comme le résume sobrement un rapport de la Fondation Jean-Jaurès, « supprimer les cotisations des immigrés reviendrait à se tirer une balle dans le pied en matière de retraites ». Cette vérité mériterait d’être davantage expliquée aux citoyens, chiffres à l’appui. L’objectif n’est pas de sacraliser l’immigration, mais de reconnaître sa contribution nette à l’intérêt général, en toute objectivité. 

Contribution invisible des sans-papiers au système de retraite  

De nombreux travailleurs sans-papiers en France occupent un emploi déclaré en utilisant de faux documents ou le numéro de sécurité sociale d’une autre personne (on parle alors de « doublettes »). Ils cotisent ainsi, comme n’importe quel salarié, aux caisses de retraite et de Sécurité sociale, sans toutefois pouvoir prétendre aux prestations correspondantes du fait de leur statut irrégulier La loi prévoit d’ailleurs explicitement que ces cotisations restent dues même en l’absence de séjour régulier. En conséquence, un travailleur sans titre de séjour peut cotiser pendant des années – voire des décennies – sans jamais toucher de pension de retraite tant qu’il n’a pas été régularisé.

Selon certaines estimations, ces cotisations sociales « non réclamées » représenteraient environ 2 milliards d’euros par an versés aux caisses publiques sans contrepartie pour les travailleurs concernés