Les JO de Paris ont un visage caché : celui des sans-papiers exploités ?
Ils ont coulé le béton du village des athlètes, monté les structures des stades et vécu dans l’ombre. Une enquête explosive dévoile un système organisé de faux papiers et de sociétés-écrans sur les chantiers des JO de Paris 2024.
Publié : 22 octobre 2025 à 13h47 par La Rédaction
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Alors que beaucoup de voix politiques dont le Rassemblement nationale multiplie les appels à l'arret de l'immigration clandistine, une enquête récente révèle que nombre d’entre eux ont participé à bâtir les infrastructures olympiques lors des JO de Paris.
L’enquête explosive de L’Équipe !
Au printemps 2022, un chantier du futur village olympique de Saint-Denis voit plusieurs ouvriers sans-papiers dissimulés par leur patron lors d’un contrôle de l’inspection du travail. L’un d’eux raconte : « Monsieur Serkan est passé me voir pour me dire : “Il y a un contrôle, tu vas te cacher” … J’ai ensuite passé tout le contrôle dans le sous-sol » . Ce témoignage, confirmé par d’autres, a déclenché une enquête de grande ampleur. Selon L’Équipe publié le 19 octobre 2025), 24 personnes (dont trois personnes morales) seront jugées en février 2026 au tribunal de Bobigny pour travail dissimulé organisé, sur fond de faux contrats et sociétés-écrans . L’Urssaf évalue le préjudice social à au moins 7,2 millions d’euros . Les coupables présumés sont des petits patrons et « dirigeants de paille » qui ont fait embaucher des clandestins sur le chantier du village des athlètes, transformant les fouilles fiscales et sociales en farce criminelle.
La Solideo, établissement public maître d’ouvrage des JO, supervisait la livraison des 58 sites olympiques. Pour le village des athlètes (Saint-Ouen / Saint-Denis / Île-Saint-Denis), elle avait retenu le groupe GCC (350 logements) qui a sous-traité à tour de rôle. Or, lors d’un contrôle du 25 mars 2022, l’inspection du travail a constaté que les ouvriers concernés n’avaient ni déclaration d’embauche, ni fiches de paie, ni cotisations sociales, et aucun titre de séjour valide . Très vite, les agents ont découvert que certains travaillaient « sous alias », avec de faux permis de travail ou au nom de tiers, et que d’autres n’avaient « aucun contrat » du tout . Face à ces indices, l’enquête a mis au jour une constellation de sociétés bidon pilotée par un même petit groupe d’individus .
Un réseau mafieux sur les chantiers olympiques
La CGT, à l’origine du signalement, décrit un véritable réseau mafieux. Les sous-traitants incriminés sont reliés entre eux et partagent des « dirigeants de paille » (présidents factices) issus d’un cercle familial, en grande partie originaire de Turquie . Les salaires versés aux ouvriers clandestins restaient proches du SMIC, sans charges, ce qui creusait un énorme bénéfice pour ces prête-noms.
Un ouvrier raconte : « Le jour où j’ai présenté le titre de mon frère, M. Serkan m’a dit qu’il voyait bien que ce n’était pas mes papiers, mais il m’a pris quand même », puis il l’a incité à « se procurer des faux » lorsque le document a expiré . Autre témoignage glaçant : Moussa, un autre travailleur sans-papiers, raconte finir parfois sa journée à 20h sans être payé d’heures supplémentaires, sous peine de se faire virer du chantier.
Selon le syndicat, ces sociétés-écrans formaient une « nébuleuse d’entreprises » qui liquidaient immédiatement tout dossier dès qu’il était suspecté. Jean-Albert Guidou (CGT 93) confirme un « système qui marche à plein tube » : dès qu’une filiale est inquiète, elle se place en liquidation judiciaire et réapparait sous un autre nom . Ainsi, le village des athlètes, censé être la vitrine des JO, s’est construit en partie grâce à une main d’œuvre clandestine et docile. Au total, une seule des filiales démantelées a encaissé 370 000 € de la part de GCC pour 269 salariés fictifs, dont seuls 43 étaient réellement déclarés : ce seul montage a créé un manque à gagner de plusieurs millions, que l’Urssaf chiffre finalement à 7,2 M€ .
Des responsabilités difficiles à établir
Face à ce scandale, plusieurs noms sont sur la sellette. La Solideo assure avoir réagi immédiatement. Déjà en juin 2022, neuf travailleurs irréguliers avaient été identifiés sur l’un de ses chantiers . Son directeur général a déclaré avoir écrit au procureur de Bobigny pour se porter partie civile et avoir « immédiatement pris les dispositions qui s’imposaient », en résiliant les contrats du sous-traitant incriminé et du groupe GCC qui l’employait . En principe, cela signifie que les pouvoirs publics se désolidarisent du système douteux.
Du côté de GCC, interrogé par les inspecteurs, la ligne officielle est la dénégation : le président du conseil de surveillance, Jacques Marcel, a affirmé ignorer toute irrégularité dans les sous-traitants . Il n’aurait pas connaissance des statuts ou titres de séjour des ouvriers qu’il payait. Mais ses propres hommes de terrain racontent autre chose. L’ancien chef de chantier du village olympique affirme avoir reçu des consignes explicites du service juridique de GCC : « Ne pas m’éloigner de GCC dans mes réponses… ne parler que du village des athlètes », afin « d’étouffer » l’affaire .
Lors de son audition, reproduite par L’Équipe, Jacques Marcel a été sommé de s’expliquer : « Vérifiez-vous que les salariés de vos sous-traitants sont bien déclarés auprès des services de l’Urssaf ? ». Réponse embarrassée du dirigeant : « Je ne vais pas vous le dire précisément. Des vérifications, ça, c’est clair, mais je n’en connais pas le détail ». Le rapporteur a insisté : « Comment expliquez-vous avoir sous-traité les travaux d’un montant de 842 000 euros à une société qui ne comptait qu’un seul salarié ? ». Jacques Marcel a botté en touche, invoquant « la responsabilité de la direction travaux » dans le choix des sous-traitants.
Parallèlement, les gérants des PME visées, entendus en garde à vue, nient tous les faits ou même tout lien avec les JO . De nombreux documents (relevés bancaires, échanges électroniques, bulletins de paie, etc.) découverts lors des perquisitions contredisent leur version. Le procès à venir devra déterminer qui savait quoi, et si les donneurs d’ordre se sont contentés de « fermer les yeux » sur cette main d’œuvre clandestine .
Tolérance zéro en surface, exploitation totale en coulisses ?
Au-delà des aspects pénaux, cette affaire soulève un paradoxe éthique sidérant. Pendant qu’à Paris les controles contre l’immigration irrégulière bat son plein, c’est un réseau de travailleurs sans-papiers qui a bâti une partie de l’héritage olympique.
Mi-juin 2025, le ministre de l’Intérieur Bruno Retailleau déclarait à la Gare du Nord : « Ne venez pas en France, nous n’accepterons rien, c’est la tolérance zéro » . Il orchestré une opération nationale de contrôles d’identité (18–19 juin) mobilisant 4 000 agents pour interpeller des « clandestins » dans les gares et trains .
Or ironie de l’histoire, ce sont bien ces mêmes « clandestins » – sans-papiers au chômage, souvent de petits pays d’Afrique – qui ont enduré les pires conditions pour élever immeubles et équipements olympiques.
Derrière les médailles et les hymnes, il restera cette part d’ombre. Celle d’ouvriers sans visage, effacés des photos officielles mais présents sur chaque mur, chaque dalle. Les Jeux sont finis, mais qu’on n’oublie jamais ceux qu’on a relégués dans les sous-sols du rêve olympique.
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