Il y a 65 ans, la France réalisait son premier essai nucléaire dans le Sahara algérien !

Le 13 février 1960, la France devenait la quatrième puissance nucléaire en testant son premier engin atomique dans le Sahara algérien. Une explosion aux répercussions scientifiques, militaires et humanitaires durables.

Publié : 15 février 2025 à 9h08 par La rédaction

Gerboise Bleue
Crédit : Utygiolyrc - Wikipedia (CC0)

65 ans après, les souvenirs demeurent intacts. C’était le 13 février 1960, à 7h4 que la France effectuait son premier essai nucléaire sous le nom de code « Gerboise Bleue ». L'explosion, survenue dans la région de Reggane, alors sous administration française en Algérie, marquait une étape décisive dans la politique de dissuasion voulue par le général de Gaulle.

Avec une puissance estimée à 70 kilotonnes, cet essai surpassait largement ceux réalisés par les États-Unis, l’URSS et le Royaume-Uni pour leur propre entrée dans l’ère atomique. Mais si l’opération a été un succès technologique et militaire, ses conséquences environnementales et sanitaires restent, encore aujourd’hui, sujettes à controverse.

Un projet initié dans le plus grand secret

Le développement de la première bombe atomique française s’est déroulé sur plusieurs années, impliquant des scientifiques de renom comme Bertrand Goldschmidt et Yves Rocard.

Les travaux ont commencé dès 1954 sous l’égide du Commissariat à l’énergie atomique (CEA), avec des recherches menées en parallèle sur différents sites français. L’implosion du plutonium, élément clé de la réaction en chaîne, a notamment été étudiée au fort de Vaujours, tandis que la matière fissile provenait des installations de Marcoule et Valduc.

En 1958, le projet prend une tournure plus concrète avec la décision de Félix Gaillard, alors président du Conseil, de choisir Reggane comme site d’expérimentation. L’organisation du test est confiée à Pierre Billaud, chargé de superviser les préparatifs.

La bombe M1, baptisée Gerboise Bleue, est finalement assemblée en 1959 et acheminée vers le Sahara pour son test grandeur nature.

Une explosion d’une puissance inédite

L’essai s’est déroulé sur une tour métallique de 100 mètres de haut, afin de maximiser l’effet de l’explosion et limiter la contamination du sol. Des journalistes triés sur le volet ont assisté à l’événement depuis un poste d’observation situé à 20 km du « point zéro ». Avant la mise à feu, ils ont reçu des instructions strictes : s’asseoir, tourner le dos au site et protéger leurs yeux avec des lunettes spéciales.

Lorsque la bombe a explosé, sa puissance a dépassé toutes les estimations. Prévue pour atteindre entre 60 et 70 kilotonnes, elle s'est avérée quatre à cinq fois plus dévastatrice que la bombe d’Hiroshima. L’onde de choc a balayé une vaste zone, et le champignon atomique a projeté des retombées radioactives sur un rayon de plusieurs centaines de kilomètres.

Des retombées radioactives bien au-delà du Sahara

Les impacts de Gerboise Bleue ne se sont pas limités au désert algérien. Selon des documents déclassifiés en 2013, le nuage radioactif s’est déplacé bien au-delà des prévisions initiales.

Dès le lendemain, les traces de radiation atteignaient Tamanrasset, puis se sont étendues à N'Djaména et Bangui en Afrique centrale. En moins d'une semaine, le nuage a traversé l’Afrique de l’Ouest jusqu’à Bamako, avant de dériver vers l’Espagne et la Sicile deux semaines plus tard.

Ces révélations ont relancé les critiques sur la gestion des essais nucléaires français et leurs conséquences sanitaires. De nombreux habitants de la région de Reggane ont été exposés aux radiations sans protection adéquate, tout comme les militaires et scientifiques présents sur place.

D’autres essais avant le passage aux tests souterrains

Après Gerboise Bleue, la France a mené trois autres essais nucléaires atmosphériques à Reggane : Gerboise Blanche (1er avril 1960), test réalisé alors que Nikita Khrouchtchev était en visite officielle en France, ensuite la Gerboise Rouge (27 décembre 1960), et enfin la Gerboise Verte (25 avril 1961).

Ces explosions, bien que moins puissantes (moins de 5 kilotonnes), ont confirmé la capacité de la France à produire et à contrôler des armes nucléaires.

Après l’indépendance de l’Algérie en 1962, Paris a obtenu, par les accords d’Évian, le droit de poursuivre ses essais nucléaires dans le Sahara jusqu’en 1967. 13 essais souterrains ont ainsi été réalisés à In Ecker, dans le massif du Hoggar, avant le transfert des tests vers la Polynésie française en 1966.

Réactions internationales et conséquences politiques

L’essai de Gerboise Bleue a provoqué de vives réactions, notamment dans les pays du Maghreb.  Sur la scène internationale, l’Union soviétique a répondu à cet essai en rompant un moratoire sur les tests nucléaires en vigueur depuis 1958, relançant ainsi la course aux armements. Les États-Unis, de leur côté, ont intensifié leur programme d’expérimentations atomiques pour contrer la menace croissante du bloc soviétique.

Un long combat pour la reconnaissance des victimes

Pendant plusieurs décennies, les impacts des essais nucléaires français ont été minimisés par les autorités. Ce n’est qu’en 2004 qu’une enquête judiciaire a été ouverte pour examiner les conséquences sanitaires et environnementales des tests menés en Algérie et en Polynésie.

En 2008, un ancien militaire français a obtenu une pension d’invalidité à vie après avoir développé une maladie liée aux radiations. Ce cas a ouvert la voie à une reconnaissance progressive des victimes des essais nucléaires. Un fonds d’indemnisation de 10 millions d’euros a été mis en place, bien que jugé insuffisant par les associations de défense des victimes.