Il y a 60 ans… les accords d’Evian !

17 mars 2022 à 22h06 par Fodil

Après deux ans de contacts et de négociations secrètes et 11 jours de pourparlers au bord du lac Léman, les accords d'Evian sont conclus le 18 mars 1962 par le ministre français des affaires algériennes, Louis Joxe, et le colonel algérien Krim Belkacem.

Accords d'Evian

Depuis le  déclenchement, le 1er novembre 1954, de la guerre d’Algérie à la crise qui a précipité le  retour au pouvoir du général De Gaulle, les gouvernements successifs de la IVe République n'ont pas réussi à résoudre la crise algérienne.

Alternant politiques de dialogue et de répression, personne n'a pu concilier les violentes aspirations indépendantistes du Front de Libération Nationale (FLN) et la forte volonté des européens vivant en Algérie de préserver l'intégrité de la souveraineté française.

La violence engendrée par la guerre et l’instabilité au sein du gouvernement français ont précipité la chute prématurée de la IVe République.

Face à cette situation chaotique, le général Charles de Gaulle est nommé président du Conseil par le Président de la République, René Coty, avec pour mission de rédiger dans les 6 mois une nouvelle constitution.

Le discours historique de Charles de Gaulle en 1958 à Alger

À son arrivée en Algérie, le général de Gaulle doit faire face à une situation très tendue en Algérie depuis la crise du 13 mai 1958 (manifestation qui a tourné à l’insurrection et tentative d’un coup d’état par des généraux français).

Les communautés européennes et une partie de l'armée se sont radicalisées autour de l'idée de garder l'Algérie française en rejetant tout processus d’indépendance. La population européenne voulait que de Gaulle soit leur avocat et garant du maintien d’une Algérie française. 

Le général se rend ainsi à Alger le 4 juin 1958 pour s’adresser, dans un discours historique, à la communauté européenne résidente en Algérie, durant pendant lequel il prononcera la célèbre phrase «  je vous ai compris ». 

Son allocution avait trois objectifs précis : apaiser les peuples européens et éviter leurs soulèvements, témoigner du respect aux peuples musulmans en guerre et affirmer sa légitimité des deux côtés de la Méditerranée, auprès des civils comme des militaires. 

Les négociations entre les deux camps

L’Algérie demande au gouvernement français d'engager, sans conditions, des négociations entre les deux parties en vue d'obtenir l'indépendance de l'Algérie. La réponse de François Mitterrand, alors ministre de l'intérieur, a été résumée par la presse par une phrase : « La seule négociation, c'est la guerre ». 

Cependant, la position française a changé. Un premier contact est établit en 1956 entre le FLN et les représentants du gouvernement français, rapidement interrompu après le détournement de l’avion marocain transportant cinq personnalités politiques algériennes. Fin 1956, un nouveau contact est établi, de nouveau rompu suite à la chute de la IVe République et le retour de Charles de Gaulle au pouvoir.

Nommé au pouvoir pour sauver « l'Algérie française », Charles de Gaulle reconnaît pour la première fois l’autodétermination de l'Algérie le 16 septembre 1959. Paris entame des pourparlers avec le FLN à Melun du 25 au 29 juin 1960 qui sont soldés par un échec.

Dans son discours à la télévision du 4 novembre 1960, le général de Gaulle évoque pour la première fois « l’Algérie algérienne » tout en reconnaissant le FLN comme un interlocuteur efficace. 

Le 8 janvier 1961, un référendum portant sur l’autodétermination de l’Algérie est organisé. Le lendemain, la France renoue avec le FLN par le biais d’Olivier Long, diplomate suisse, et Tayeb Boulahrouf. Les négociateurs français et algériens se rencontrèrent ainsi deux fois en 1961, d'abord à Evian, du 20 mai au 13 juin, puis à Lugrin, du 20 au 28 juillet. 

Le Sahara, une épine dans les négociations

Les discussions s'ouvrent à Evian mais coince sur des questions géopolitiques et notamment celle du Sahara.

Riche en pétrole et en gaz, Charles de Gaulle n'accepte pas la revendication de souveraineté du Sahara exigée par les négociateurs algériens. Le président français a absolument besoin de ce territoire pour mener également des essais atomiques et balistiques nécessaires au développement de son arsenal nucléaire.

Pour cette double raison énergétique et nucléaire, le Sahara freine les négociations entre les deux parties. Le 5 septembre, lors d'une conférence de presse, Charles de Gaulle finit par céder, le Sahara est algérien.

Les grands axes des accords d’Evian

Le texte de 93 pages fixe les conditions de résolution du conflit et définit les relations futures entre la France et l'Algérie.

Si la solution d'indépendance et de coopération est adoptée au même titre que le cessez-le-feu, l'accord stipulait que nul ne pourra faire l'objet de mesures de police ou de justice, de sanctions disciplinaires ou d'une discrimination quelconque en raison d'opinions émises ou d'actes commis à l'occasion des événements survenus en Algérie. Mais, sur le terrain, les affrontements redoublent de violence et les règlements de comptes, perpétrés par l’Organisation Armée Secrète (OAS), se sont poursuivis des mois après la signature des accords d’Evian.

Dans la nuit du 18 mars 1962, le général de Gaulle n'a jamais esquissé le mot « accord » dans son allocution télévisée enregistrée à l'Elysée, il estime que « la conclusion du cessez-le-feu en Algérie, les dispositions adoptées pour que les populations y choisissent leur destin, la perspective qui s'ouvre sur l'avènement d'une Algérie indépendante coopérant étroitement avec nous, satisfont la raison de la France. » Il espérait enfin que les deux peuples pourraient « marcher fraternellement ensemble sur la route de la civilisation ».

Les documents signés à Evian impliquent une coopération économique, financière, technique et culturelle entre les signataires. La France s'est engagée à retirer progressivement ses troupes et à maintenir une aide économique pendant trois ans en échange de certains avantages, comme la poursuite de l'extraction de pétrole et de gaz par les entreprises françaises, la poursuite des essais nucléaires et le maintien de dizaines de milliers de soldats français sur le sol algérien.

Les européens résidant en Algérie avaient le choix, dans un délai de trois ans, entre conserver la nationalité française et demander la nationalité algérienne. Les accords stipulent également qu’aucun Algérien ne sera contraint de quitter l’Algérie.

Les accords d’Evian ont mis fin à une guerre qui durait depuis près de huit ans (1954-1962) et à 132 ans de domination coloniale française.

Dans un article publié par Jeune Afrique et daté du 19 au 26 mars 1962, le journaliste et homme politique algérien, Mohamed Masmoudi, a écrit : « A la plus longue, à la plus meurtrière, à la plus bête des guerres coloniales, Évian vient de mettre fin de la manière la plus intelligente, la plus courageuse, la plus humaine : sur une promesse de réconciliation entre belligérants ».

Les accords d’Evian ont conduit à l’indépendance de l’Algérie et sont synonymes d’exode pour des milliers de français et européens vivant en Algérie vers l’Europe.