Il y a 42 ans… le printemps berbère !

19 avril 2022 à 17h38 par Fodil

Le 20 avril 1980, la Kabylie s’est embrasée, de Tizi-Ouzou, à Bejaïa et en passant par Bouira pour l’affirmation de l’identité et de la langue berbère. Cette révolte marque le premier mouvement populaire d’opposition aux autorités depuis l’indépendance du pays en 1962.

Printemps Berbère

Il y a quarante-deux ans, la Kabylie s’est révoltée suite à l’annulation par les autorités algériennes d’une conférence de presse de l'anthropologue Mouloud Mammeri à l'Université de Tizi-Ouzou. Un événement qui plonge la Kabylie dans une révolte sans merci.  

L’étincelle d’une révolte

L’écrivain kabyle devait intervenir sur le campus universitaire de Tizi-Ouzou pour animer un événement sur les poèmes antique kabyle le 10 mars 1980. Problème, le gouvernement ne veut pas de cette rencontre. Les autorités algériennes ne tolèrent pas que Mouloud Mammeri, fervent défenseur de la langue, de l'identité et de la culture berbère, puisse s'exprimer dans l'enceinte de l'université de Tizi-Ouzou.

Face à la pression politique de l’état d’un côté et la crainte d’une révolte des étudiants de l’autre, le proviseur de l’université de Tizi, inquiet, informe Mouloud Mammeri la veille de sa conférence de presse de son annulation. Mais malgré les avertissements du proviseur, l’anthropologue, en bon montagnard, les ignore et décide se rendre quand même à Tizi-Ouzou le lendemain.

En chemin, sa voiture est arrêtée par un barrage de police à une dizaine de kilomètres de la capitale de la Grande Kabylie et il est emmené au commissariat de police où les services de sécurité lui expliquent qu’ils ont pour ordre de l'empêcher de pénétrer à Tizi-Ouzou.

Les étudiants brisent le mur de la peur

Au lendemain de l’interdiction de la conférence de presse de Mouloud Mammeri, des étudiants organisent une manifestation dans la rue de Tizi-Ouzou rejoint par d’autres mouvements. Ils appellent à la reconnaissance de l'identité berbère et à briser le mur du silence et de la peur. L'université de Tizi-Ouzou était à l'avant-garde de la contestation qui se propageait vers d'autres villes et villages de Kabylie.

Au plus haut niveau de l'État, la situation est désastreuse. Le 15 mars 1980, une délégation d'étudiants est accueillie à El-Mouradia pour remettre une lettre au Président de la République réclamant la reconnaissance de la culture et de l'identité berbère ainsi que le respect des libertés démocratiques au sein de l'université.

La vague de protestation finit par atteindre Alger. Le 7 avril 1980, 500 personnes ont manifestées dans le centre-ville réclamant la liberté d'expression, la démocratie, le pluralisme culturel et linguistique réprimé par la police.

Une semaine plus tard, le ministre de l'enseignement supérieur est envoyé à Tizi-Ouzou pour parler aux étudiants grévistes. Une rencontre de quatre heures qui ne réussira pas à les convaincre puisque, deux jours plus tard, une grève générale paralyse toute la Kabylie.

Face à cette situation très tendue, le Président de la République, Chadli Bendjedid, s’adresse, le 17 avril, aux étudiants et ordonne à son Premier Ministre, Mohamed Abdelghani, de faire évacuer, manu militari, le centre universitaire de Tizi-Ouzou. Le ministre somme ainsi les étudiants de reprendre les cours avant le samedi 19 avril, en vain.

La police intervient de force à Tizi-Ouzou

A l’aube du dimanche 20 avril 1980, la police évacue le campus universitaire de Tizi-Ouzou. Le bilan de la répression est lourd, plus de 450 personnes sont blessées et des centaines d’autres arrêtées. Des émeutes éclatent et une grève, qui aura duré trois jours, est déclarée.

Vingt un ans plus tard, de nouvelles émeutes éclatent en Kabylie

Le 18 avril 2001, Massinissa Guermah, un lycéen, trouve la mort après avoir été touché par une rafale de kalachnikov dans la gendarmerie de Béni-Douala. Le jeune homme avait été interpelé après une banale altercation avec la gendarmerie.

Le 20 avril de la même année, alors que tous les habitants de Kabylie et du reste du pays s'apprêtaient à célébrer le 21ème anniversaire du Printemps Berbère d’avril 1980, l’assassinat d'un jeune de 18 ans déclenche la colère et des manifestations dans toute la région.

Alors que la situation se tend un peu partout en Kabylie, le 21 avril 2001, la gendarmerie d'Amizour dans la wilaya de Bejaïa arrête trois élèves alors qu'ils se dirigent vers le stade municipal en compagnie de leur professeur d'éducation physique et leurs camarades. Deux jours plus tard, ce sont des milliers de citoyens qui affluent vers Amizour avant que toute la Kabylie ne s’embrase.

Une manifestation historique à Alger

Pour exprimer leur colère, plusieurs organisations appellent à une marche pacifique à Alger pour remettre au gouvernement en place leurs revendications (la plate-forme d’El Kseur) dont l’adoption du tamazight comme langue nationale et officielle sans aucune condition.

Malgré le refus de la demande d’autorisation préfectoral à manifester, deux millions de personnes décident de braver l’interdiction, instauré depuis 1987 par le régime algérien, de manifester dans les rues d’Alger.

Le 14 juin 2001 marque une journée de répression sanglante dans l’histoire de la Kabylie. Des milliers de policiers et gendarmes bloquent les rues menant vers la capitale depuis les premières heures du matin. Une restriction qui oblige les manifestants à continuer leur chemin à pied tandis que d’autres ne peuvent atteindre leur destination finale.

Les forces de l’ordre utilisent alors toutes les méthodes pour réprimer les manifestants, entre agents déguisés, policiers en civil et agressions au milieu des manifestants. Dès lors, de nombreux affrontements éclatent dans les ruelles de la capitale faisant huit morts, des centaines de blessés et plusieurs arrestations.

Le bilan de l'insurrection kabyle est de 126 morts, majoritairement des jeunes, et plus de 5 000 blessés.

Le 27 avril 2001, Kamel Irchene est abattu par la gendarmerie lors d’une manifestation à Azazga, à 35 km à l’est de Tizi-Ouzou. Le jeune marquera l’histoire par un geste qui reste gravé dans les mémoires, blessé, il écrit le mot « liberté » avec son sang sur les murs avant de succomber à ses blessures.

Le printemps berbère reste un symbole de la lutte menée par la Kabylie pour affirmer son identité berbère et un combat de la liberté. Trente-six ans plus tard, la langue tamazigh est devenue langue officielle et nationale grâce à la réforme constitutionnelle de 2016, la fête de Yennayer est une fête nationale depuis 2018 et le 12 janvier est désormais un jour chômé et payé en Algérie !