Ahmed Taleb Ibrahimi, le dernier témoin d’une génération de bâtisseurs !

Fils du cheikh Mohamed Bachir Ibrahimi, compagnon du FLN et acteur majeur de l’après-Indépendance, Ahmed Taleb Ibrahimi a traversé toutes les grandes étapes de l’histoire moderne de l’Algérie.

Publié : 5 octobre 2025 à 18h03 par La Rédaction

Ahmed Taleb Ibrahimi
Crédit : D.R

Hommage à un homme d’État algérien au parcours exceptionnel ! L’Algérie a perdu l’un de ses grands bâtisseurs. Le Moudjahid, intellectuel et ancien ministre Ahmed Taleb Ibrahimi est décédé ce dimanche 5 octobre 2025 à Alger, à l’âge de 93 ans, ont annoncé ses proches.

Son décès marque la disparition d’une personnalité marquante du pays, à la croisée de la politique, de la culture et du combat national.

Un héritage de savoir et de patriotisme

Né à Sétif en 1932, Ahmed Taleb Ibrahimi est le fils du cheikh Mohamed Bachir Ibrahimi, l’un des fondateurs de l’Association des oulémas musulmans algériens (AOMA). Très tôt, il suit la voie tracée par son père, alliant érudition religieuse et engagement politique.

Étudiant en médecine à l’université d’Alger, il milite activement pour la cause nationale et participe à la création de l’Union générale des étudiants musulmans algériens (UGEMA), dont il devient président en 1955. Durant cette période, il fonde également et anime le journal Le Jeune musulman, organe francophone de l’Association des oulémas, destiné à éclairer la jeunesse algérienne.

Arrêté par la DST française en 1957, il passe plus de quatre ans en détention avant d’être libéré en 1961. Cette détention de 1957 à 1961 en France, marquera profondément sa conscience politique et nourrira plus tard son œuvre intellectuelle.

Durant la guerre de libération, il rejoint la Fédération de France du FLN, où il joue un rôle clé dans la coordination avec les délégations du Caire, de Tunis et de Rabat.

Du militantisme à la diplomatie

Après l’indépendance, Ahmed Taleb Ibrahimi se met au service de l’État. Homme de convictions et de culture, il occupe plusieurs postes de responsabilité : ministre de l’Éducation nationale (1965-1970), ministre de l’Information et de la Culture (1970-1977), puis ministre des Affaires étrangères (1982-1988).

Il fut également conseiller des présidents Houari Boumediene et Chadli Bendjedid, contribuant à la mise en œuvre des politiques de modernisation du pays. Défenseur de la langue arabe et de l’identité islamique, il s’est imposé comme l’un des penseurs majeurs du nationalisme algérien.

Auteur de nombreux ouvrages, dont Lettres de prison et Mémoires d’un Algérien, il a consacré une grande partie de sa vie à la réflexion sur l’histoire et la mémoire de l’Algérie.

Un message fort du président Tebboune

À l’annonce de son décès, le président de la République Abdelmadjid Tebboune a rendu hommage à un homme d’État respecté. Dans son message de condoléances adressé à la famille du défunt, il a salué « le docteur Ahmed Taleb Ibrahimi, de regrettée mémoire, héritier d’une illustre lignée de science et de piété ».

Le chef de l’État a souligné que « par sa disparition, l’Algérie perd l’un de ses grands noms, une personnalité nationale éminente, jouissant d’un rang distingué et d’un mérite reconnu ».

Le président algérien Abdelmadjid Tebboune a également rappelé la fidélité et l’engagement de l’ancien ministre : « Le défunt incarnait à la fois la sagesse de l’homme politique, la mesure de l’intellectuel et le patriotisme du militant et du moudjahid. Depuis sa jeunesse, lorsqu’il rejoignit l’Union générale des étudiants musulmans algériens dans les années 1950, jusqu’à la fin d’un parcours riche en responsabilités et en missions au service de la Nation, il s’est élevé parmi les plus fidèles et valeureux hommes d’État dévoués à l’Algérie. »

Et d’ajouter, dans une prière empreinte d’émotion :

« Je vous adresse mes sincères condoléances et l’expression de ma profonde compassion, priant Dieu le Tout-Puissant de combler notre défunt de Sa vaste miséricorde, de l’accueillir dans Son Paradis éternel auprès des véridiques, des martyrs et des justes, et d’accorder à sa famille patience et réconfort. »

Un intellectuel engagé jusqu’à la fin

Même après son retrait de la vie gouvernementale, Ahmed Taleb Ibrahimi n’a jamais cessé de s’exprimer sur l’avenir de son pays. Sa voix, respectée et écoutée, portait celle d’un homme attaché à la souveraineté, à la dignité et à l’identité de l’Algérie.

Dans ses écrits, conférences et interviews, il prônait un équilibre entre foi et raison, entre mémoire et progrès. Ses ouvrages, dont De la décolonisation à la révolution culturelle et La passion de bâtir, témoignent d’une réflexion profonde sur la formation de la conscience nationale après 1962.

En 2017, avec Ali Yahia Abdennour et Rachid Benyelles, il appelle à constater l’incapacité du président Abdelaziz Bouteflika, plaidant pour une transition politique apaisée.

De la politique à la réflexion nationale

Homme d’État avant tout, Taleb Ibrahimi s’était éloigné du pouvoir à la fin des années 1980, après avoir quitté le ministère des Affaires étrangères. Mais il demeurait une figure morale et intellectuelle dans le débat public.

Candidat malheureux à la présidentielle de 1999, il avait refusé de cautionner un scrutin qu’il jugeait verrouillé. Quelques années plus tard, en 2004, il apportait son soutien à Ali Benflis, marquant ainsi son engagement pour un pluralisme politique réel.

Sa position, toujours mesurée, s’exprimait à travers des appels à la réforme pacifique et au dialogue. En 2019, en pleine effervescence du Hirak, il s’associe à d’autres personnalités respectées, comme Ali Yahia Abdennour et Rachid Benyelles, pour appeler au report de la présidentielle et à une transition démocratique négociée.

Quelques mois plus tard, il recevait la visite du président Abdelmadjid Tebboune, à qui il adressait « ses vœux de réussite » tout en exposant « ses idées pour l’avenir ». Ce geste illustrait son attachement au débat d’idées et à la continuité de l’État.

Un patriote visionnaire

Tout au long de sa vie, Ahmed Taleb Ibrahimi a incarné la figure du patriote cultivé et visionnaire. Ses contemporains le décrivent comme un homme de conviction, exigeant envers lui-même, fidèle à sa foi et à son pays.

Un dernier adieu à un symbole de l’Algérie indépendante

Sa disparition laisse un vide immense dans le paysage intellectuel et politique algérien. Avec lui s’éteint une génération de bâtisseurs, celle qui a connu la prison coloniale, les luttes de la Révolution et les premières années de l’indépendance.

Médecin, ministre, penseur et patriote, Ahmed Taleb Ibrahimi restera pour beaucoup le visage d’une Algérie cultivée, spirituelle et courageuse.

Sa vie, traversée par l’histoire du pays, aura été un miroir de ses espoirs et de ses combats.